Pas encore de Just-in-Case, malgré la ‘polycrise’

Les crises successives ont perturbé les chaînes d’approvisionnement, à l’échelle mondiale mais aussi régionale. La machine bien huilée du Just-in-Time s’est souvent enrayée. De nombreux producteurs, commerçants et logisticiens ont constitué des stocks plus importants. Résultat : des entrepôts qui débordent. Le phénomène est-il temporaire ou permanent ? Et un changement structurel vers le Just-in-Case est-il perceptible ?

Mais d’abord : qu’est-ce que le Just-in-Case (JIC) ? Il s’agit d’une stratégie de gestion des stocks qui doit permettre aux entreprises de disposer de réserves suffisantes pour parer à toute éventualité. C’est l’opposé du Just-in-Time (JIT) qui repose sur la fabrication et/ou la livraison des produits à mesure que les commandes arrivent.
Dans le JIC, les entreprises commandent plus de matières premières, de pièces et de produits qu’elles n’en ont besoin et/ou qu’elles ne prévoient d’en vendre à court terme. Cette approche permet de se protéger contre certains risques, tels que des pics soudains de la demande ou des perturbations inattendues des chaînes d’approvisionnement.

Polycrise et pression constante

Ces dernières en particulier ont stimulé l’intérêt accru pour le JIC. Ces trois dernières années, les disruptions ont été nombreuses, avec les confinements dus au Covid, le blocage du Canal de Suez par l’Ever Given, les fermetures d’usines et de terminaux à conteneurs en Chine, l’augmentation massive des tarifs du fret maritime, la pénurie de puces, la guerre en Ukraine, les énormes hausses de prix dans le secteur de la construction notamment, etc. Toutes ces crises ont mis à l’épreuve la résilience des chaînes d’approvisionnement, à l’échelle mondiale mais aussi régionale.
Ces crises pourraient devenir un phénomène constant : on parle alors de ‘polycrise’ ou de ‘permacrise’. C’était d’ailleurs l’une des conclusions du World Economic Forum de Davos. Cette nouvelle réalité économique pousse les entreprises du monde entier à revoir leur production, leurs fournisseurs et leurs chaînes d’approvisionnement.

Des chaînes résilientes

Bernard Piette, Directeur de Logistics in Wallonia : « Nous nous sommes heurtés aux limites de la mondialisation et de l’internationalisation des marchés. Les prix astronomiques des conteneurs au cours de l’an passé sont révélateurs. Cela mènera-t-il à une relocalisation ? Je ne pense pas, mais plutôt à une diversification des chaînes de valeur, un repositionnement des stocks et une plus grande visibilité tout au long des chaînes d’approvisionnement. L’accent sera davantage mis sur la résilience des chaînes. »
Cela favorisera-t-il dès lors le passage du JIT au JIC ? B. Piette ne le pense pas non plus. « Les entreprises retombent rapidement dans de mauvaises habitudes. Elles n’abandonneront pas de sitôt le JIT, notamment parce que peu d’entreprises se soucient vraiment de leurs chaînes d’approvisionnement et ont une vision en la matière. Elles veulent toutes fabriquer et livrer les meilleurs produits, mais négligent un peu les investissements dans la gestion de ces chaînes. Combien d’entre elles emploient un supply chain manager ? Le fait qu’elles continuent à prôner le JIT est principalement dû à un manque de compétences logistiques. J’ai l’impression qu’un passage éventuel au JIC se fera davantage par nécessité que par stratégie. Beaucoup détournent d’ailleurs le concept par ces mots ‘just-in-worst-case’ (dans le pire des cas, NDLR). »

Des stocks plus importants, mais pas de JIC

Serge Gregoir, CEO d’Eutraco, confirme : « Pour l’instant, nous ne remarquons aucun changement fondamental dans les chaînes d’approvisionnement. Chez certains clients, les niveaux de stock sont supérieurs à la normale. Mais cela ne signifie pas qu’ils veulent passer au JIC. Il peut s’agir d’une décision purement mathématique. En raison des perturbations dans l’approvisionnement, il se peut que des centaines de conteneurs soient bloqués dans les ports. Au lieu de payer des frais de surestaries exorbitants, il est plus intéressant de stocker davantage dans des entrepôts, en attendant que les chaînes d’approvisionnement fonctionnent à nouveau correctement. L’augmentation des stocks peut aussi être due à une baisse de la demande. »
Des discussions sont en cours avec des clients qui souhaitent réserver plus d’espace de stockage. Il ne s’agit pas d’un choix structurel pour le JIC, mais plutôt d’une précaution. « Ils souhaitent plus d’espace ‘si nécessaire’. Cela exige de la flexibilité de la part des prestataires logistiques. Ceux qui, à court terme, peuvent stocker 20 ou 30 % de plus pour un client ne courent pas les rues. Cela pourrait donc bien modifier le marché : les entreprises choisiront des partenaires plus robustes capables d’offrir la flexibilité nécessaire et d’évoluer le cas échéant. »

Le JIC coûte cher

Selon S. Gregoir, certaines entreprises sont conscientes du phénomène de ‘permacrise’. « Mais cela ne signifie pas qu’elles veulent passer au JIC, car le capital immobilisé coûte une fortune. Elles sont plus soucieuses de la pérennité de l’activité et étudient donc le ‘multisourcing’ avec, pour une part, davantage de production locale et davantage de stocks… mais alors chez leurs fournisseurs. »
Même son de cloche du côté de Filip De Clercq, administrateur délégué de Gilbert De Clercq. « Il y a effectivement beaucoup plus de demande d’espace de stockage, mais ce n’est pas forcément lié au JIC, au contraire. Il ne s’agit pas de réserves stratégiques, mais plutôt de stocks apparus suite à une baisse des ventes ou au fait que, dans une réaction de panique, on a trop acheté. » Il ne voit donc pas non plus de transition structurelle du JIT au JIC. « Les stocks coûtent cher. On ne peut pas se permettre de laisser dormir le capital, surtout dans le commerce de détail. »

Les entreprises ont la mémoire courte

Gert Snel, CEO de Snel Logistic Solutions, ne voit pas non plus de transition structurelle vers le JIC pour le moment. « Beaucoup d’entreprises ont la mémoire courte et ont déjà oublié l’affaire du ‘Ever Given’. Surtout dans le secteur FMCG et du commerce de détail où les marges sont faibles. Le JIC met en effet leurs fonds de roulement sous pression. »
« Dans le secteur de la production, en revanche, les esprits mûrissent », dit-il. « Pour l’instant, presque toutes les sociétés de production travaillent avec une logistique JIT. Mais les risques augmentent : comme elles n’ont pas de stocks tampons, le moindre incident met leurs lignes de production à l’arrêt. Pour le transporteur, livrer à temps relève de l’exploit, notamment à cause de la congestion. C’est de plus en plus compliqué. Les sociétés de production prennent conscience que les choses ne peuvent plus continuer ainsi. Mais malgré cette prise de conscience, il faudra du temps avant qu’elles ne revoient fondamentalement leurs chaînes logistiques. »

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