Les transporteurs de conteneurs rencontrent aujourd’hui des difficultés. Les embouteillages dans et autour du port leur rendent la vie difficile, et ni les chargeurs, ni les expéditeurs, ni les terminaux ne les aident beaucoup. Cela provoque une certaine frustration, comme en témoignent les trois transporteurs que nous avons réunis : Pascal Dorthu, Kurt Joosen et Steven Meeus.
Les participants à la table ronde
• Pascal Dorthu est Chief Transport Planning Officer de Jost Group.
• Kurt Joosen est, depuis 2019, à la tête de Transport Joosen, une filiale de Katoen Natie.
• Steven Meeus est CEO et propriétaire d’Eskatrans à Turnhout.
A Anvers, le transbordement de conteneurs a augmenté d’environ 6 % au cours des neuf premiers mois de 2024. Au 3e trimestre, la croissance a même atteint 12 %. Cela vous réjouit ?
Kurt Joosen : Les chiffres du Port sont difficiles à interpréter, car ils incluent aussi le transbordement de navires de haute mer vers des feeders à destination d’autres ports européens, et inversement. Il est donc difficile de savoir combien de conteneurs sont transportés par voie terrestre. Nous constatons que le transport de conteneurs a diminué ’au cours des deux dernières années. La situation est même sombre. Par rapport à 2022, nous avons légèrement réduit notre flotte.
Trafic instable
Pascal Dorthu : Tel mois, il y a trop de travail et tel autre, pas assez. En 2022, après la crise du Covid, c’était extrêmement chargé, mais depuis deux ans, il est difficile de dégager une tendance. Cette instabilité rend la planification très compliquée.
Les trafics étaient-ils plus stables avant ?
Steven Meeus : Absolument. C’est en grande partie dû à l’arrivée de porte-conteneurs de plus en plus grands. Ils déchargent beaucoup plus de conteneurs d’un coup, et tout doit être évacué en trois jours, sinon des frais de surestaries et de détention s’appliquent. Ces coûts augmentent très rapidement.
K. Joosen : En 2022, le trafic était tellement intense que les coûts de congestion pouvaient être répercutés sur le client. Aujourd’hui, c’est plus difficile, alors que la situation est encore plus complexe à cause de la congestion accrue et des tâches administratives supplémentaires. L’expéditeur s’attend à ce que vous déposiez un conteneur et en chargiez un autre à des moments très précis, jusqu’à trois fois par jour ! Qui peut encore aujourd’hui être ponctuel six fois par jour ? Personne.
P. Dorthu : Et il est souvent difficile d’obtenir les bons créneaux horaires. Parfois, il faut charger un conteneur à 8 h et le déposer 20 km plus loin à 19 h. Parfois, on peut compenser en modifiant le planning des véhicules, en les couplant ou en déplaçant d’autres unités, mais il y a tellement de facteurs à prendre en compte que cela reste souvent approximatif, surtout lorsque les rendez-vous doivent être pris 48 heures à l’avance.
S. Meeus : Il y a de la congestion partout. Au moindre accident, vos camions restent des heures dans les embouteillages, même l’après-midi maintenant.
Les embouteillages sont-ils aussi une cause importante de la pénurie de chauffeurs ?
S. Meeus : C’est certain. Il est difficile de conserver les chauffeurs, et savoir qu’ils n’arriveront pas chez eux à l’heure les démotive.
K. Joosen : C’est aussi décourageant pour l’entreprise. Un camion peut parfois prendre 2 h pour effectuer 20 km, par exemple, du port à Wilrijk. Et qu’est-ce que ça rapporte ? Des cacahuètes. Il faut combiner et planifier les trajets de manière encore plus efficace, mais cela a ses limites.
S. Meeus : C’est pourquoi nous essayons de ‘réutiliser’ au maximum les conteneurs grâce à notre hub de Turnhout. Cela nous évite de nombreux trajets vers Anvers.
P. Dorthu : Nous utilisons également le site de BE-Trans à Geel comme hub. Deux écocombis font la navette jour et nuit entre Anvers et Geel. Là, les conteneurs sont transbordés sur un autre véhicule et continuent vers l’hinterland européen ou inversement. Autre avantage : cela permet de mieux respecter les créneaux horaires des terminaux. Il est rare qu’un chauffeur international aille directement au port, car le risque de manquer son créneau horaire est trop élevé.
S. Meeus : Avec un hub, on peut en effet mieux organiser les opérations. Mais pour cela, il faut des gerbeurs, et ils coûtent environ 450.000 €. Chaque transbordement a un coût. Et ce coût est uniquement à la charge du transporteur, alors qu’il profite au donneur d’ordre.
Avant l’instauration des créneaux horaires, il y avait souvent d’interminables files de poids lourds à l’entrée des terminaux. Ne sont-ils donc pas bénéfiques ?
S. Meeus : Les temps d’attente ont un peu diminué, mais le système des créneaux horaires ne marche pas bien parce qu’il est trop rigide. Si vous ne pouvez pas charger à temps chez le chargeur et que vous arrivez en retard pour votre créneau, vous devez payer. Tout repose sur le transporteur. Mais l’expéditeur ? Il ne fait plus grand-chose aujourd’hui.
K. Joosen : Les temps d’attente ont en effet diminué, mais l’impact des créneaux horaires est considérable. Si vous voyez que vous ne pourrez pas respecter le créneau, vous pouvez l’annuler. Mais si cela n’est pas fait à temps, une amende de 16 € s’applique. Il faut complètement repenser la planification, surtout en tenant compte du chargement, du transport et du déchargement, qui ne sont pas toujours effectués par le même chauffeur. Ce qui est regrettable, c’est que les clients ne savent pas tout ce que nous devons faire pour être à l’heure et mener la mission à bien pour eux. C’est aussi une des raisons pour lesquelles beaucoup de transporteurs doivent grandir.
Masse critique
Ils ont besoin d’une structure administrative économiquement viable pour assumer leurs tâches et doivent avoir suffisamment de volume pour créer des optimisations. Cela explique les reprises. Un autre avantage : en cas d’absence d’un chauffeur, il est plus facile de trouver une solution pour assurer le transport.
S. Meeus : C’est quelque chose que l’on observe sur le marché. Avant, il s’agissait de petites entreprises familiales avec 5 à 10 camions. Elles disparaissent.
P. Dorthu : Elles ne peuvent plus supporter les frais fixes. Plus le travail est complexe à organiser, plus il faut mobiliser de planificateurs.
K. Joosen : De nombreux camions ont été retirés du marché, mais malheureusement beaucoup ont aussi été ajoutés.
Comment cela ?
S. Meeus : Dans un rayon de 50 km autour d’Anvers, les entreprises prolifèrent. Elles opèrent avec quelques personnes et utilisent des sous-traitants, encouragées par des ‘commissionnaires’ qui, en plus, cassent les prix.
K. Joosen : En 2022, après la crise du Covid, c’était « the sky is the limit », mais ensuite le travail a beaucoup diminué. Nous avons alors réduit notre activité, mais ces nouveaux venus se sont adressés à nos clients et ont sérieusement perturbé le marché.
P. Dorthu : Ces nouveaux venus débauchent aussi des membres de notre personnel, y compris au niveau du planning.
Y a-t-il actuellement une surcapacité sur le marché ?
S. Meeus : Aujourd’hui, il y a une surcapacité de 10 % et environ 7 à 8 % de nos chauffeurs sont en chômage technique.
K. Joosen : Comme chez nous.
P. Dorthu : Nous sommes moins touchés, car nous pouvons réaffecter les camions. Si l’activité conteneur est moindre, nous les utilisons pour tirer des bâchées. Mais nous avons aussi des véhicules immobilisés faute de chauffeurs.
Un de vos collègues a récemment exprimé son mécontentement face à la prolifération des systèmes numériques dans le port…
K. Joosen : Cela fait des années que nous le dénonçons. Quand je présidais SAVA, la section régionale de la Febetra, nous avons tenté, avec les douanes et divers acteurs du port, de mettre en place l’Antwerp Port Community System (APCS), une sorte de portail unique pour les différents systèmes. Malheureusement, nous n’avons pas réussi.
Aujourd’hui, il y a encore plus de systèmes différents, et nous devons saisir quasi les mêmes données à chaque fois ! Nous aurions pu nous appuyer sur l’APCS pour tout rationaliser. Avec non pas un système central de réservation, mais une interface intermédiaire qui nous faciliterait la vie.
P. Dorthu : Actuellement, nous devons créer une API (application, ndlr) pour chaque terminal pour communiquer avec l’opérateur. Une ‘passerelle’ numérique et neutre nous rendrait vraiment service. Juste une interface permettant de traduire les informations des différents terminaux vers le système TMS de chaque transporteur. Le développement ne coûterait même pas très cher. Mais il existe une certaine réticence — en fait, du protectionnisme — qui rend cela impossible.
Le problème majeur du secteur n’est-il pas la mauvaise communication entre les terminaux, les expéditeurs, les chargeurs et les transporteurs ?
S. Meeus : Oui, et nous en subissons les conséquences, car nous sommes le maillon faible. Nous supportons les coûts, et si quelque chose tourne mal, où que ce soit, non seulement nous ne gagnons rien, mais nous devons aussi assumer les coûts.
K. Joosen : C’est aussi une source de frustration, car cette mauvaise communication engendre de nombreuses inefficacités dans le système. Si nous pouvions travailler de manière plus flexible, nous pourrions mieux combiner les missions, ce qui serait non seulement plus économique mais aussi plus écologique.
S. Meeus : Plus de flexibilité est effectivement nécessaire… y compris pour les frais de surestaries et de détention.
P. Dorthu : Oh oui, également pour les surestaries. Autrefois, les coûts n’étaient pas toujours répercutés sur le transporteur, mais aujourd’hui, les terminaux se concentrent davantage sur la refacturation au transporteur que sur la résolution de leurs problèmes organisationnels.