Le mouvement d’électrification des entrepôts et du parc de poids lourds est irréversible. Mais il pose de grands défis aux entreprises : faut-il privilégier la recharge sur site ou en route ? Comment limiter au maximum les pics de consommation coûteux ? Quels sont les avantages des systèmes de gestion énergétique ? Notre podcast fait le point.
Logistics Management : Un bâtiment logistique traditionnel consomme-t-il plus d’électricité qu’il y a dix ans ?
Thierry Moreel (Still) : Non, l’automatisation a réduit les pics de consommation. Les engins roulent plus lentement et consomment moins. Autrefois, avec la conduite manuelle, les accélérations étaient plus fortes avec des pics de consommation plus élevés. L’éclairage LED a aussi réduit la consommation d’énergie.
Karel Bronselaer (Pluon) : Il y a toutefois une différence entre ceux qui roulent à l’électrique et ceux qui ne le font pas. Recharger ses véhicules sur site entraîne une forte augmentation de la consommation du bâtiment.
Björn Robbens (C-Battery) : Les panneaux solaires sont plus performants et produisent donc davantage. Une obligation d’installation de panneaux solaires est également en vue pour les bâtiments industriels qui dépassent un certain seuil de consommation annuelle. Il s’agit donc de créer de l’énergie plutôt que d’en consommer. Toutefois, installer trop de cellules photovoltaïques peut être pénalisant. Les opérateurs du réseau s’inquiètent de l’augmentation du nombre de panneaux solaires et d’éoliennes qui génèrent simultanément de l’électricité, ce qui surcharge le réseau.
LM : En ce qui concerne les chariots élévateurs, leurs batteries ont-elles connu des avancées technologiques majeures depuis l’arrivée de l’accumulateur lithium-ion il y a dix ans ?
T. Moreel : La technologie des batteries évolue extrêmement vite. Still produit ses propres batteries et systèmes énergétiques, et nos clients ont besoin d’être conseillés à ce sujet. Nous analysons avec eux l’utilisation des chariots élévateurs électriques, les temps de pause, etc. Sur cette base, nous choisissons les batteries et chargeurs adéquats afin qu’ils ne rencontrent aucun problème de capacité sur toute la durée de vie de l’équipement.
Gestion de l’énergie
LM : Le nombre de shifts a-t-il un impact sur les pics de consommation ?
T. Moreel : Les shifts entraînent la recharge de plusieurs batteries simultanément. La rapidité de la recharge est l’un des grands avantages des batteries lithium-ion. Mais une recharge ultra-rapide signifie une forte consommation d’énergie en peu de temps, ce qui génère des pics. Nous cherchons des solutions pour y remédier.
K. Bronselaer : Ces pics ont un impact financier. Une partie de la solution réside dans l’optimisation : quand et comment recharger ? Les systèmes de gestion de l’énergie permettent de piloter la consommation, de garder une vue d’ensemble du bâtiment et de tous ses consommateurs et rendements énergétiques. Les batteries de stockage aident à lisser les pics et permettent à l’entreprise de croître, de se développer et de s’électrifier sans entraîner de coûts opérationnels excessifs.
LM : Grâce aux panneaux solaires, les entrepôts deviennent aussi des producteurs d’électricité. Quel niveau d’autonomie un entrepôt classique peut-il atteindre ?
B. Robbens : Cela dépend des activités, du travail en plusieurs shifts ou non, et du moment où se produisent les pics de consommation. Aujourd’hui, les entrepôts ont aussi l’opportunité de devenir des hubs énergétiques. En les combinant avec des batteries, on peut même faire du ‘trading’ sur le marché de l’énergie et ainsi rentabiliser une partie des investissements, en vue du passage aux poids lourds électriques. De plus en plus d’entreprises logistiques créent une division énergétique pour ne pas rater cette opportunité. Leurs clients cotés en bourse chercheront aussi à réduire les émissions de CO₂ sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. La pression pour électrifier va donc continuer à s’intensifier.
LM : Les poids lourds électriques seront-ils principalement rechargés sur site ?
K. Bronselaer : Il existe plusieurs méthodes de recharge, mais la recharge sur site restera toujours la plus avantageuse, surtout en combinaison avec des panneaux solaires et/ou des batteries. On distingue trois grands modèles de recharge des e-trucks. D’abord, les hubs de recharge qui se développent actuellement le long des principaux axes de transport. L’objectif est une recharge ultra-rapide pendant la pause du chauffeur. Ensuite, la recharge semi-publique : pour ceux qui ne peuvent pas installer de bornes sur leur propre site, des hubs publics sont une alternative. Enfin, la recharge sur site est l’option avec le TCO le plus bas. Un transporteur souhaitant optimiser son retour sur investissement (ROI) peut même créer un hub de recharge semi-public sur son site.
T. Moreel : Investir dans l’électrification, c’est investir à la fois dans l’écologie, dans l’économie et dans la flexibilité de l’entreprise. La possibilité de charger, décharger et utiliser ses poids lourds à tout moment constitue un atout inestimable.
Congestion du réseau
LM : La gestion et le stockage de l’énergie sont-ils indispensables pour un entrepôt ‘future proof’, compatible avec les e-trucks
B. Robbens : Absolument. Aux Pays-Bas, la congestion du réseau électrique est déjà un problème aigu. Certains sites ne peuvent même pas être construits ou mis en service. La Belgique doit anticiper ces problèmes de réseau. Les batteries sont-elles indispensables dans l’entrepôt logistique du futur ? Les transporteurs ayant des itinéraires fixes et des rayons d’action limités peuvent recharger leurs véhicules pendant la nuit. Dans ce cas, le stockage par batterie n’est pas nécessaire. En revanche, si l’objectif est une recharge ultra-rapide en 10 à 15 minutes, alors oui, les batteries deviennent cruciales. Pour les poids lourds et le transport international, on parle de centaines de kW et de kWh à transférer en quelques minutes. Le réseau belge n’est pas conçu pour cela aujourd’hui. La vitesse de l’électrification dépasse largement celle du déploiement des conducteurs en cuivre dans les câbles. Les entreprises logistiques n’attendent pas : elles investissent déjà dans les batteries et les e-trucks.
LM : Quels sont les autres besoins énergétiques d’un entrepôt ou d’un bâtiment où des e-trucks sont rechargés ?
K. Bronselaer : Il faut distinguer le besoin et l’approvisionnement. En effet, une consommation accrue ne correspond pas forcément à l’approvisionnement. Une étude préalable est essentielle pour estimer les distances à parcourir et le temps disponible pour la recharge. Cela permet de déterminer correctement l’alimentation électrique. Aujourd’hui, les bornes de recharge sont déjà équipées d’une gestion intelligente qui garantit un équilibre entre la puissance disponible et les besoins énergétiques des poids lourds. En fait, une borne de recharge est une simple prise dont nous souhaitons qu’elle fonctionne en continu. Plus nous intégrons de données, mieux nous y parvenons. Ces données peuvent provenir d’un EMS, mais idéalement aussi d’un système de gestion du transport, afin de savoir quel camion doit être chargé et quand. Plus on collecte d’informations, plus le système EMS pourra répartir efficacement la puissance entre les bornes et ainsi mieux aligner l’approvisionnement sur les besoins.
LM : Quelle est la durée de vie d’une borne de recharge ?
K. Bronselaer : La question est surtout celle des capacités de communication dans le système de la borne. Sont-elles assez ouvertes et peuvent-elles communiquer avec suffisamment de systèmes de gestion énergétique et d’opérateurs de bornes de recharge (CPO) ? C’est souvent là que se trouve le goulet d’étranglement. Il faut donc un protocole ouvert.
Kris De Leeneer : « Les camions électriques posent d’énormes défis »
Comment Kris De Leeneer, dirigeant de l’entreprise logistique éponyme, perçoit-il l’électrification de sa flotte ? « Nous avons acheté deux camions électriques », explique-t-il. « En tant que transporteur, nous devons suivre le mouvement. Nous allons les recharger sur notre site car ce n’est pas rentable autrement. Nous bénéficions aussi d’une subvention de la Région flamande. Mais l’autonomie de la batterie est limitée à 300 km. Il faut s’y faire, mais cela pose d’énormes défis, y compris en termes de temps de recharge. Même avec la charge rapide, il faut 1h30 pour recharger un e-truck. En théorie, nous pourrions brancher nos camions chez un client pendant le (dé)chargement, mais les assurances l’interdisent en raison des risques d’électricité statique. Trop dangereux. Je pense que nous continuerons à utiliser des camions diesel pendant encore 10 à 15 ans. Une électrification totale à court terme est irréaliste. »
T. Moreel : « Cette estimation me semble correcte. Quand on voit que Trump remet les énergies fossiles au premier plan aux USA, cela va forcément ralentir la transition. Mais en parallèle, la technologie des cellules de batterie continue d’évoluer. Si les prix des batteries chutent fortement, alors l’essor des e-trucks sera inéluctable. »