Au début de ce siècle, cette entreprise n’existait pas. En 2025, elle est devenue Transporteur de l’Année à l’unanimité du jury. Mais comment Kris De Leeneer, ancien ouvrier de la métallurgie, est-il devenu le transporteur hyper-professionnel qui est aujourd’hui reconnu par ses pairs ? C’est une histoire de travail, de vision et de professionnalisme
2025, c’était l’année ou jamais pour Kris De Leeneer. Déjà connue pour son sérieux, la société éponyme a connu en quelques mois un coup d’accélérateur impressionnant consécutif à l’inauguration de son nouveau siège central à Lokeren, en bordure de l’E17.
Le hasard fit bien les choses
Truck & Business : Comment êtes-vous arrive dans le transport ?
Kris De Leeneer : Mon père travaillait dans la construction et ma mère était femme de ménage. Ce ne sont pas eux qui m’ont transmis le virus d’entreprendre. Moi-même, je travaillais chez Sidmar à Gand quand un jour, pendant que je travaillais à mon jardin, Lucien De Groote s’est blessé avec son cheval devant chez moi. Je l’ai conduit à l’hôpital et il se fait que Lucien De Groote avait une petite entreprise de transport.
Il m’a proposé de rouler un peu pour lui et puisque j’avais passé mon permis à l’armée, j’ai commencé à rouler pour lui à côté de mon travail. Un peu plus tard, il m’a proposé de reprendre son entreprise et c’est comme ça que j’ai commencé avec un camion et une camionnette. Toutes les banques, sauf KBC, ont refusé de me financer. Ensuite j’ai passé ma compétence professionnelle mais à l’époque je n’avais pas de grand plan en tête, simplement l’envie d’entreprendre.
T&B : Comment avez-vous passé les grandes crises financières ?
K. De Leeneer : Dès le début, j’ai pu compter sur des clients fidèles et je ne m’étais jamais servi sur le compte de la société. Pendant des années, ma voiture personnelle était une Kangoo. J’avais aussi un très bon contrôle de mes liquidités donc ça s’est relativement bien passé. Je me suis rapidement concentré sur la distribution et les services à valeur ajoutée dans le Benelux.
Donc j’ai construit un premier entrepôt, installé un WMS et en six mois cet investissement était devenu autosuffisant. C’est comme ça que l’entreprise a grandi, jusqu’à la construction de notre nouveau siège central en 2024.
Le transport, indispensable à la logistique
T&B : En quoi ce bâtiment était-il pionnier ?
K. De Leeneer : C’est l’un des premiers entrepôts à navettes de Belgique. C’est une idée qui est née pendant un salon logistique à Anvers, où j’avais vu fonctionner des navettes. Le projet a un peu été retardé à cause du Covid et de l’opposition de certains riverains mais il mais il a finalement été mené à bien et est maintenant opérationnel depuis deux ans.
Le dernier étage, où se trouve aujourd’hui notre espace événementiel La Vue, ne faisait pas partie du projet initial. Cependant, l’idée a progressivement germé de créer un espace pouvant être utilisé pour des réceptions clients, des formations et des événements de networking dans le confort et la discrétion. Le nom La Vue n’a pas été choisi par hasard : il offre une vue magnifique sur la nature environnante. Depuis, le lieu est devenu un véritable atout dans nos opérations commerciales et relationnelles.
T&B : Et l’entrepôt est-il maintenant rempli ?
K. De Leeneer : Pas encore tout à fait, mais la tendance est clairement positive. La croissance est solide, ce qui nous donne confiance pour l’avenir.
En collaboration avec WDP, nous prévoyons de construire un deuxième entrepôt à quelques centaines de mètres de là. Ce sera un autre site ultramoderne qui établira de nouvelles normes en matière d’efficacité, de durabilité et d’automatisation. L’achèvement des travaux est prévu pour début 2027.
T&B : Vous travaillez entre autres pour des chocolatiers. Les annonces en sens divers de Donald Trump vous inquiètent ?
K. De Leeneer : D’abord il est trop tôt pour y voir clair mais de toutes façons, s’il y a une guerre commerciale, il n’y aura que des perdants. Nous avons tous intérêt au libre-échange.
T&B : Aujourd’hui, êtes-vous un transporteur ou un logisticien ?
K. De Leeneer : Un logisticien mais sans le transport, nous ne serions nulle part. C’est grâce au fait que nous assurons nous-mêmes, avec nos propres moyens, un service de transport de grande qualité que nous pouvons convaincre des clients de nous confier leurs marchandises. Et on ne le dit pas assez mais si vous travaillez de manière professionnelle, si vous avez un planning efficace et un bon contrôle de vos coûts, il y a encore moyen de gagner de l’argent dans le transport !
T&B : Vous croyez donc toujours au modèle ‘asset-based’…
K. De Leeneer : Bien sûr ! Au début, je roulais pour Danzas. J’ai bien vu comment ça se passait. D’une part, ces grands groupes ont des frais de structure beaucoup trop importants et en plus, ils n’ont pas la flexibilité que nous avons. Ici, si un client téléphone à quelqu’un de mon équipe, on se met autour de la table et on trouve une solution.
T&B : L’arrivée des camions électriques pourrait mettre en péril ce modèle où le transporteur achète ses propres camions…
K. De Leeneer : Nous n’aurons pas atteint le zéro émission dans cinq ans. Ce qui me frappe, c’est que la durabilité semble avoir quelque peu disparu des priorités des clients ces derniers temps, même dans les entreprises ayant des objectifs ESG explicites. Depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, cette priorité semble avoir quelque peu diminué en général, même si elle reste évidemment un thème important pour l’avenir.
T&B : Mais néanmoins, il faut aller vers là…
K. De Leeneer : C’est vrai et en ce qui nous concerne, ce sera avec nos propres camions électriques. C’est une question de valeur ajoutée. Si je ne fais que mettre un de mes chauffeurs à disposition d’une autre entreprise qui a financé des camions électriques, je ne suis plus un transporteur. Donc, nous devons être en capacité de maintenir notre approche ‘asset-based’ mais aussi de maîtriser autant que possible la recharge de nos véhicules.
Mais je me pose encore des tas de questions : comment l’état va-t-il taxer l’électricité à l’avenir ? Il va perdre des accises sur les carburants fossiles ; taxer l’électricité à une borne publique, d’accord mais comment va-t-il s’y prendre pour l’électricité que nous produirons et que nous utiliserons nous-mêmes ? Et de toutes façons, il faudra que les entreprises de transport grandissent. Actuellement, il y a trop de transporteurs.
Trop de transporteurs en Belgique
T&B : Pourquoi ?
K. De Leeneer : Parce que le seuil d’accès à la profession de transporteur est beaucoup trop bas. A la fois sur le plan des compétences – et de toutes façons il est trop facile de louer sa compétence professionnelle – et sur le plan financier. Le chauffeur qui veut se mettre à son compte, sait-il seulement calculer son véritable prix de revient ? Acheter son premier camion, c’est facile mais plus ils travaillent, plus ils font de kilomètres, plus ils perdent de l’argent ! Et ce sont les chargeurs qui en profitent.
T&B : Trouvez-vous des chauffeurs pour assurer votre croissance ?
K. De Leeneer : Oui, même si ce n’est évidemment pas une tâche facile. Mais nous y parvenons, en partie grâce à notre bonne réputation en tant qu’employeur. Aujourd’hui, nous employons des personnes de 11 nationalités différentes, toutes sous contrat belge.
Nous croyons fermement en la valorisation des talents, indépendamment de l’origine ou du parcours. Par exemple, nous avons également un collaborateur originaire de Gaza qui travaille pour nous, un collaborateur de premier plan, extrêmement motivé. Si les règles d’expulsion proposées se concrétisent, nous risquons de perdre les personnes qui feront la différence dans le secteur de demain.
Au-delà du professionnalisme qui transpirait du dossier qu’il avait préparé à l’intention du jury du Transporteur de l’Année, c’est la motivation énorme et la passion pour son entreprise, son projet de vie, qui se ressent au contact de Kris De Leeneer. Comme il le laisse sous-entendre dans son interview, il a encore quelques beaux projets dans sa manche et le Transporteur de l’Année 2025 nous réserve donc de belles surprises pour l’avenir.

Interview VIP
Quel est le dernier livre que vous avez lu ?
KDL : J’aime beaucoup les livres qui sont liés à l’histoire, surtout sur la Deuxième Guerre Mondiale. Cela me passionne. Mais je n’ai pas trop le temps de lire donc j’écoute des e-books. Le dernier que j’ai apprécié, c’est De Staatsvijand, un roman d’espionnage de Johan Op De Beeck.
Qu’est-ce qui vous rend heureux ?
KDL : D’être en bonne santé. J’ai perdu mon père trop jeune ainsi qu’un frère qui a eu un accident. Donc, même si je n’ai pas le temps d’aller faire du sport, je me soigne. Mais je n’ai pas pris un vrai jour de congé depuis deux ans…
Un personnage que vous admirez ?
KDL : J’en citerais deux : depuis que Donald Trump est revenu, j’ai d’autant plus d’admiration pour Barack Obama. Je suis même un peu jaloux de sa capacité à parler en public ! Sinon, j’ai toujours beaucoup admiré l’athlète anglais Sebastian Coe, qui a failli devenir président du CIO. Ca, c’est un vrai gentleman !
Kris De Leeneer en bref
• siège social : Lokeren
• spécialités : distribution dans le Benelux, prestations logistiques à haute valeur ajoutée
• entrepôt automatisé à Lokeren (46.000 emplacements-palette)
• chiffre d’affaires : 20,7 millions EUR (2024)
• personnel : 99 personnes, dont 75 chauffeurs
• flotte : 81 tracteurs, 8 porteurs, 6 utilitaires légers, 82 semi-remorques