Les processus logistiques exigent toujours plus de rapidité et d’efficacité, mais sans perdre de vue la sécurité. De plus en plus, ces priorités se rejoignent dans des projets d’automatisation. De nouvelles technologies comme les jumeaux numériques, la localisation en temps réel ou encore les dispositifs intelligents de protection contre les collisions contribuent à prévenir les accidents. Stijn Vantilt (BlooLoc), Kris Malfroot (Profensa) et Pablo Coosemans (Atrium Opleidingen) livrent leur propre vision des défis que posent sécurité et automatisation.
Logistics Management : L’automatisation est un sujet brûlant en logistique, mais la sécurité figure aussi parmi les priorités. Les deux font-ils bon ménage ?
Stijn Vantilt (BlooLoc) : « Il s’agit en réalité à la fois de sécurité et d’efficacité. Les entrepôts sont toujours plus hauts, ce qui augmente le volume stocké à surface égale. Résultat : davantage de densité et d’intensité dans l’utilisation des engins, et donc plus de risques. La technologie permet de cartographier ces dangers et de réduire le nombre d’accidents. Mais l’humain reste central : les systèmes soutiennent l’activité au sol, ils ne remplacent pas l’homme. »
Pablo Coosemans (Atrium Opleidingen) : « Tout à fait. La sécurité reste avant tout une affaire humaine. Même chez les caristes expérimentés, le problème vient souvent des habitudes. En réalité, nous ne leur apprenons plus grand-chose de nouveau, mais nous les aidons surtout à se défaire de certaines habitudes. Et c’est plus difficile. L’automatisation peut aider, mais le comportement humain reste décisif. Notre métier a d’ailleurs évolué : autrefois, nous étions de véritables instructeurs ; aujourd’hui, nous sommes devenus davantage des coachs, qui accompagnent et recadrent. »
Kris Malfroot (Profensa) : « Dans la pratique, nous intervenons encore souvent a posteriori, c’est-à-dire après des accidents. C’est à ce moment que les entreprises veulent renforcer leurs protections : poteaux flexibles, barres d’avertissement, etc. On peut mieux faire. Les employeurs devraient analyser les risques et envisager des solutions de manière proactive. »
LM : Concrètement, comment la technologie aide-t-elle à mesurer et améliorer la sécurité ?
Stijn Vantilt : « Avec notre technologie de jumeaux numériques, nous créons une copie virtuelle de l’entrepôt, un peu comme Google Street View, mais à l’intérieur du bâtiment. Nous filmons l’intérieur d’un entrepôt de 50.000 m² en une heure, puis nous en créons un modèle 3D. Ce modèle est embarqué sur une petite unité informatique installée sur le chariot élévateur, avec des caméras intelligentes. Ainsi, les engins savent en permanence où ils se trouvent dans l’entrepôt et communiquent entre eux. Si deux véhicules risquent une collision, les caristes reçoivent un avertissement ou la vitesse est automatiquement réduite. Toutes les opérations sont donc suivies en temps réel, pas seulement celles des machines mais aussi celles des palettes, qu’il n’est plus nécessaire de scanner. Chaque mouvement de palette, du rayonnage jusqu’au camion, est suivi en direct. »
Pablo Coosemans : « Ces données nous permettent de former le personnel de manière ciblée. Nous pouvons dire, sur base de faits : « La semaine dernière, tu roulais trop vite ici » ou « Tu as accéléré trop fort dans ce virage ». L’impact est bien plus grand qu’avec des consignes générales. Nous pouvons aussi vérifier immédiatement si le comportement s’améliore après la formation. L’apprentissage devient alors un processus continu, et non une intervention ponctuelle. »
Kris Malfroot : « Pour la sécurité physique, les données sont tout aussi précieuses. Elles nous indiquent si notre protection est bien placée. Si nous constatons qu’un endroit connaît régulièrement des quasi-collisions ou des dégâts légers, nous pouvons y renforcer préventivement la protection. C’est la combinaison mesurer–analyser–agir qui fait toute la différence. »
« Beaucoup d’entreprises n’investissent dans la sécurité que si elles peuvent en mesurer le rendement. »
(Stijn Vantilt, BlooLoc)
Un feedback constructif
LM : Quels sont les défis liés à l’usage de ces données ?
Pablo Coosemans : « Convaincre les collaborateurs qu’il ne s’agit pas d’un outil de contrôle ou de sanction, mais d’un soutien. Le but est d’améliorer le comportement et surtout de le rendre plus sûr, pas de sanctionner ou de pointer du doigt. Il est donc essentiel de donner un retour constructif, de préférence immédiatement après un incident. »
Stijn Vantilt : « Il faut aussi que les données soient fiables et présentées de façon exploitable. Trop d’informations paralysent. Nous travaillons donc avec des tableaux de bord clairs et synthétiques. »
LM : Quel retour sur investissement attendre de ces technologies ?
Stijn Vantilt : « Beaucoup d’entreprises n’investissent dans la sécurité que si elles peuvent en mesurer le rendement. D’où l’importance de notre module ‘pallet track’. Ce module assure le suivi des palettes en temps réel, ce qui accélère les processus et réduit les erreurs. De plus, il n’est plus nécessaire de scanner les palettes. Le ROI est ainsi plus facile à calculer que le gain en sécurité qui vient presque en bonus. »
Kris Malfroot : « Une protection flexible contre les collisions évite des réparations coûteuses aux machines et aux infrastructures. Lorsqu’un chariot heurte une barrière en acier, les dégâts – pour l’engin comme pour l’opérateur – sont bien plus importants. C’est aussi une forme de ROI que les entreprises comprennent. »
Pablo Coosemans : « Avec deux grands logisticiens, nous avons calculé qu’un accident du travail coûte en moyenne un euro par salarié et par heure. Diviser ces accidents par deux, c’est donc une économie considérable. Et c’est possible grâce à la technologie et à la formation. »
LM : A quel point votre approche est-elle flexible ? Vos systèmes peuvent-ils évoluer facilement avec les besoins des clients ?
Kris Malfroot : « Nos protections contre les chocs sont modulaires : nous pouvons les déplacer ou les renforcer en quelques heures seulement. C’est essentiel, car les entrepôts sont souvent réaménagés. »
Stijn Vantilt : « Même constat pour nous. Les contrats logistiques durent souvent 36 ou 48 mois et ne sont pas toujours renouvelés. Après trois ou quatre ans, il faut parfois proposer une solution d’automatisation à un client avec une autre approche et un autre produit. Nous avons intégré cette flexibilité. »
Kris Malfroot : « Un couplage efficace et flexible entre nos protections physiques et les systèmes de détection numérique d’une entreprise comme BlooLoc est également possible. C’est d’ailleurs déjà le cas aujourd’hui. »
Moins de trajets à vide
LM : Comment l’automatisation et la sécurité continueront-elles à s’influencer mutuellement à l’avenir ?
Stijn Vantilt : « Nous évoluons de plus en plus vers des véhicules semi-autonomes recevant leurs missions sur la base de données en temps réel. Le Warehouse Management System assigne la tâche à la machine la plus proche, ce qui réduit les distances, évite les trajets à vide et améliore à la fois la productivité et la sécurité. Nous voulons aussi ouvrir nos données à des partenaires comme Profensa et Atrium, pour que la sécurité physique et la formation soient alignées sur les risques réels. »
Pablo Coosemans : « Du côté d’Atrium, nous pensons qu’un coach sécurité central opérant à distance pourra jouer un rôle à l’avenir. Grâce aux systèmes de BlooLoc, nous pouvons suivre des centaines de caristes simultanément. Si l’un d’eux effectue une manœuvre risquée, il reçoit immédiatement un message ou un appel pour en discuter. Cela a un effet préventif et peut éviter des accidents. »
Kris Malfroot : « Le lien entre détection numérique et protection physique va encore se renforcer. Lorsqu’un capteur détecte une collision, vous savez d’emblée que la zone doit être contrôlée et que la protection peut, le cas échéant, être adaptée. C’est l’amélioration continue, guidée par les données et les faits. »
LM : Mais malgré toutes ces technologies, l’humain reste bien au centre ?
Pablo Coosemans : « Absolument. La technologie est un outil, elle ne peut ni ne doit remplacer l’homme. La sécurité repose sur le comportement, l’attitude et la coopération. »
Stijn Vantilt : « C’est pourquoi nous développons des systèmes qui assistent les opérateurs, sans les écarter. »
Kris Malfroot : « Et c’est aussi pourquoi technique, infrastructure et formation doivent œuvrer ensemble vers un même objectif : un lieu de travail plus sûr. »
Les participants
- Atrium Opleidingen – Spécialisé dans les formations à la sécurité, avec pour mission de rendre aussi simple que possible l’amélioration de la sécurité au travail pour les clients et les collaborateurs.
- BlooLoc – Entreprise technologique axée sur la localisation en temps réel et la sécurité dans les entrepôts. Siège sur le campus Corda (Hasselt) et centre R&D à Herent.
- Profensa – Fournisseur et installateur de protections contre les collisions et de barrières de sécurité, basé à Ninove.




