Consommation et émissions de CO2 : une transparence pas encore parfaite

C’est une petite révolution pour les acheteurs de poids lourds, quoi que les constructeurs en disent : depuis le 1er janvier 2019, chaque véhicule livré est accompagné d’un document qui certifie ses émissions de CO2. Et donc sa consommation de carburant. Mais tous les constructeurs ne jouent pas le jeu avec le même degré de transparence.

Rappelons tout d’abord que ce progrès découle en ligne directe de la nécessité absolue de réduire les émissions de CO2 du transport routier. Pour réduire ces émissions, il fallait d’abord les mesurer. C’est chose faite avec l’outil VECTO, qui a été mis au point sous l’égide de la Commission Européenne par l’Université technique de Graz en Autriche. Les données récoltées par cette méthode servent un objectif double : mieux informer les acheteurs de poids lourds de ce que leur futur poids lourd va consommer, et calculer les émissions moyennes de chaque marque de poids lourd.

L’automobile comme exemple… à ne pas suivre

Avec une voiture particulière, il est relativement facile de fournir à chaque client une information fiable sur la consommation future de son véhicule. C’est une directive européenne de 1999 qui a rendu cette communication obligatoire, à la fois chez les concessionnaires, dans les publicités et dans les offres de prix, mais il a fallu attendre 2006 pour que tous les pays l’appliquent. Trois ans plus tard, l’Europe imposait des objectifs de réduction des émissions moyennes de CO2 à chaque constructeur.

Avec un poids lourd, le calcul normalisé de la consommation est beaucoup plus compliqué, puisqu’il y a beaucoup plus de combinaisons possibles (moteur, boîte, pont arrière, type de cabine etc…) et que les cycles d’utilisation sont nettement plus complexes. L’outil VECTO utilisé par tous les constructeurs tient compte de tout cela, mais son utilisation est pour l’instant limitée aux quatre types de véhicules les plus courants : tracteurs 4×2 et 6×2 et porteurs 4×2 et 6×2. C’est un début. Certains types de véhicules (on pense notamment aux véhicules de chantier et aux bennes à ordures ménagères) ne seront a priori jamais concernés.

L’outil (accessible en open source) est alimenté par quatre types de données: les caractéristiques du véhicule (configuration d’essieux, masses maximales, rapports de boîte et de pont, taille des roues…), celles du moteur (courbes de puissance et de couple, consommation spécifique…), les données aérodynamiques (dimensions, surface frontale, coefficient de pénétration dans l’air…) et les caractéristiques des pneumatiques (dimensions, résistance au roulement). Il semble par ailleurs subsister une zone grise au niveau des appendices aérodynamiques pris ou non en compte.

Il revient à chaque constructeur de valider ces données lui-même. Il n’y a donc pas d’institut indépendant, comme Euro-NCAP pour la sécurité passive des voitures, et il faut donc faire confiance au constructeur. Par le passé, cette confiance a été malheureusement rompue dans le monde de l’automobile, ce qui a mené au dieselgate, mais partons du principe que les filets de sécurité mis en place par la Commission seront cette fois plus étanches.

Chaque constructeur alimente Vecto avec ses propres données relatives, par exemple, à la consommation spécifique de ses moteurs.

Comment interpréter les données Vecto ?

A partir de toutes les données fournies par le constructeur, le logiciel Vecto calcule la consommation théorique du véhicule selon plusieurs cycles d’utilisation : il y a un cycle longue distance (vitesse moyenne de 79 km/h), un cycle ‘transport régional (vitesse moyenne 61 km/h), un cycle ‘distribution urbaine’, un cycle ‘services municipaux ‘(vitesse moyenne 9 km/h) et un cycle ‘construction’. Les cycles ‘longue distance’ et ‘transport régional’ peuvent être simulés en configuration normale ou en écocombis. Les tracteurs sont fictivement accouplés à une semi-remorque fourgon de référence.

Pour chaque simulation, deux valeurs sont fournies : à pleine charge (90 % de la charge utile maximale théorique) ou à vide (10 % de la charge utile maximale théorique). Depuis le 1er janvier, les gains estimés des cruise controls prédictifs (PPC chez Mercedes-Benz par exemple) sont eux aussi pris en compte. Les résultats peuvent être exprimés de plusieurs façons : en litres de carburant aux 100 kilomètres, ce qui est assez habituel, mais aussi par tonne-kilomètre, puisque les masses du véhicule sont connues. A partir de ces valeurs, le système fournit aussi les résultats en grammes de CO2 par 100 km et par tonne-kilomètre. On trouvera en annexe un exemple de résultats anonymisés.

Quelle valeur accorder à ces chiffres ? Ni les cycles d’utilisation retenus, ni le type de matériel tracté utilisé, ni les profils de roules simulés, ni même les pneus ne correspondront parfaitement au profil d’utilisation d’une seule entreprise. Et il ne faut évidemment pas oublier que le facteur humain influence toujours fortement la consommation réelle d’un poids lourd. Les valeurs Vecto ont donc une valeur relative, mais qui encourage néanmoins les acheteurs de poids lourds à demander des offres auprès de plusieurs constructeurs.

Après quelques mois d’utilisation, il sera également très intéressant de comparer ses propres résultats de consommation avec les valeurs Vecto. Deux camions de marques concurrentes, utilisés selon des cycles d’utilisation identiques, devraient en effet présenter une différence plus ou moins égale entre leurs valeurs Vecto et leur consommation réelle. Si une marque s’écartait systématiquement de ses valeurs Vecto, cela signifierait qu’elle injecte dans le système des valeurs trop optimistes. Dans le monde automobile, personne n’y a prêté attention (c’est d’ailleurs ce qui a mené au dieselgate), mais dans le monde du transport routier, ces écarts apparaîtront rapidement au grand jour. Transportmedia a d’ailleurs décidé de publier les chiffres Vecto des camions qui sont soumis à notre parcours de test pour informer ses lecteurs des écarts marque par marque.

En attendant, les importateurs belges estiment dans l’ensemble que Vecto ne va pas bouleverser le marché, le temps que les clients s’habituent à ces nouveaux chiffres.

Les moteurs CNG et LNG ne sont pas encore concernés par Vecto.

Objectif – 30 %

Revenons à l’analogie entre le monde du poids lourd et le monde de l’automobile. Après avoir normalisé la mesure de la consommation, la Commission a imposé aux constructeurs automobiles des objectifs de réduction de leurs émissions moyennes de CO2. C’est exactement ce qui vient d’être décidé en février dernier pour les poids lourds.

Les émissions moyennes des constructeurs de poids lourds seront d’abord calculées pendant une année de référence (entre le 1er juillet 2019 et le 30 juin 2020). Le calcul est simple : x unités vendues avec des émissions y, ajoutées les unes aux autres, le tout divisé par le nombre total de camions vendus. Admettons qu’une marque se retrouve le 1er juillet 2020 avec des émissions moyennes de 750 grammes de CO2 par 100 km. Cette valeur-étalon doit être abaissée de 15 % d’ici 2025 et de 30 % d’ici 2030.

Le constructeur a le choix des armes : il peut continuer à travailler sur la consommation de ses moteurs diesel (Volvo Trucks s’est engagé à gagner en moyenne 1 % par an) ou il peut encourager ses clients à acheter des véhicules émettant moins de CO2. Dans ce contexte, les véhicules au gaz naturel offrent un avantage marginal (les bienfaits du LNG se situent surtout au niveau des NOx et des particules fines), mais ce sont les futurs camions électriques qui feront ‘gagner des points’ aux marques. Attendez-vous à une offensive de grand style… puisqu’il ne s’agit plus uniquement de mettre sur le marché des véhicules qui consomment moins, mais bien de les faire adopter par la clientèle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle tous les constructeurs (sauf Iveco, pour le moment) s’affairent à une gamme de porteurs lourds électriques. C’est que les véhicules à faibles émissions (hybrides, électriques mais pas LNG pour l’instant) compteront double dans le calcul des émissions moyennes. Si un constructeur n’atteint pas ses objectifs de – 15 % en 2025, il pourra être sanctionné financièrement en 2029 (et l’amende pourrait être salée).

Mais il leur reste un autre atout à jouer dès l’année prochaine : de nouvelles cabines aérodynamiques. Actuellement, la forme et la longueur des cabines sont figées par la directive ‘poids et mesures’ qui limite par exemple à 16,5 m la longueur d’un ensemble tracteur-semi, mais cette directive a été revue. Dès l’été 2020, les cabines pourront être plus longues à l’avant, tant que les véhicules s’inscrivent dans les mêmes rayons de braquage (pour passer les ronds-points, par exemple). Avant de se faire imposer des objectifs de réduction de leurs émissions de CO2, les constructeurs (Mercedes-Benz en tête) n’avaient de cesse que de dire que la consommation se réduirait surtout à l’arrière de la semi-remorque et non à l’avant de la cabine. Les prochaines années nous apprendront s’il s’agissait d’une posture de lobbying ou pas.

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