Anouchka Chodorowskyj, chauffeur chez Jencar : la route dans la peau

Après une heure de discussion à bâtons rompus avec Anouchka Chodorowskyj, femme chauffeur et fière de l’être, je commence à comprendre ce qu’une femme, jeune et charmante vient chercher dans ce milieu. « Je suis tombée dedans quand j’étais petite », débute Anouchka Chodorowskyj. « Mon père était chauffeur routier international. A l’âge de huit ans, il m’a fait monter dans son camion pour la première fois. Une révélation ! » Haute comme trois pommes, Anouchka en était déjà convaincue : un jour, elle prendrait à son tour le volant de son camion pour parcourir les routes d’Europe. Quelles que soient les difficultés de parcours… Tracer sa voie « Mes parents connaissaient les contraintes du métier, avec papa sur la route toute la semaine et maman pour assumer seule le quotidien de la famille. Je ne dois donc pas vous expliquer que mon choix ne les a pas fait bondir de joie… Mais ma décision était prise, malgré mon jeune âge. Pour mes études secondaires, j’ai réussi à les convaincre de m’inscrire en mécanique automobile, une filière pourtant typiquement masculine. Je voyais ces études comme une corde supplémentaire à mon arc, la mécanique étant complémentaire à ma future profession ». Une fois son diplôme de secondaire en poche, Anouchka s’inscrit au Forem pour passer son permis poids lourd. Ici aussi, elle est la seule femme du groupe. « Etre plongée dans un milieu masculin depuis l’adolescence, ça forge le caractère. Et cela m’aide aujourd’hui encore face à l’attitude machiste ou rétrograde d’autres chauffeurs, ou dans certaines usines. » Notre femme chauffeur reconnaît également qu’elle se sent à sa place dans le milieu qu’elle a choisi. « J’ai plus d’amis que d’amies. Il faut dire que je ne déconnecte pas souvent, même après une journée bien chargée. Ou alors pour parler de moto… », plaisante-t-elle. Des journées de ministre Chauffeur depuis environ 4 ans, Anouchka Chodorowskyj travaille principalement en Belgique et en Allemagne, et remplace parfois un collègue pour une mission de plusieurs jours. « Je me suis ainsi rendue en Tchéquie et j’ai vraiment apprécié les heures passées seule au volant, la sensation de liberté. Le soir, sur les parkings, je prends plus de précautions que les chauffeurs masculins, par exemple en fermant les rideaux de mon tracteur avant d’allumer la lumière, mais je n’ai jamais rencontré de problème. L’ambiance dans les relais routiers est souvent très familiale. Entre chauffeurs, on taille aussi volontiers une bavette quand on doit attendre son tour avant de pouvoir charger ou décharger. » En général, Anouchka monte dans son camion entre 3 et 4 heures du matin, pour revenir entre 12 et 15 heures plus tard, en fonction de ses ordres de mission et des aléas du trafic. Elle prend son camion le lundi matin au dépôt de Welkenraedt pour le ramener le vendredi soir. « C’est un métier difficile, pas vrai ? », me lance-t-elle. « Mais c’est avant tout une passion. Et chez Jencar, mon patron et mes collègues sont aux petits soins pour moi. Quand je suis malade, ils me téléphonent pour m’obliger à me reposer, car ils me connaissent et savent que je vais tout faire pour quand même aller bosser. Ce sont un peu mes grands frères. » Une étoile dans les yeux « Mon camion, c’est ma raison d’être, un vrai bonheur au quotidien. Je l’adore, mon Renault Trucks T 520 ! Il faut dire qu’il possède un équipement plus que complet, et qu’il est particulièrement bichonné par mon patron, qui possède une carrosserie industrielle, en plus de l’entreprise de transport. A part des rideaux et une plaque avec mon prénom, je n’ai rien eu à y ajouter. Mais je rêve depuis toujours d’un Mercedes… » Et ça tombe bien, son patron le lui a promis : son prochain véhicule portera une étoile sur la calandre. « Mais je compte bien parcourir de nombreux kilomètres avec mon fameux T 520, que je vais utiliser pendant encore deux ans. » Au volant, Anouchka Chodorowskyj se définit comme courtoise. « Les chauffeurs qui, comme moi, aiment leur job ont un rôle à jouer par rapport aux autres usagers de la route. Nous devons faire fi des difficultés pour donner la meilleure image possible du métier. Les gens ne se rendent pas compte de notre quotidien, ni de la place que le transport joue dans notre économie. Il suffit pourtant de voir la pagaille provoquée par les quelques jours de grève au moment de l’introduction de la taxe kilométrique pour s’en rendre compte. » Avec son futur Mercedes, Anouchka espère bien avoir l’opportunité de parcourir les pays scandinaves, destination rêvée de nombreux chauffeurs. « Aller dans les pays du sud ne m’intéresse pas. Je veux découvrir le grand nord avec mon futur bahut. » Son patron sait ce qui lui reste à faire s’il veut fidéliser sa meilleure La compagnie des machos « Ce n’est quand même pas facile tous les jours », confie Anouchka. « Récemment, j’arrive chez un client et mets mon camion sur la bascule. Je vais au bureau signaler mon arrivée et on m’accueille en me demandant ce que je fais là et me disant que je ferais mieux d’être dans ma cuisine pour préparer de bons petits plats pour mon homme… Quand j’entends de telles réflexions, cela me met hors de moi. On est quand même au 21e siècle, non ? Faut évoluer, les gars ! » Sous des abords réservés et malgré son jeune âge, la demoiselle a déjà donné pas mal de fil à retordre à des collègues masculins qui voulaient l’empêcher de faire son métier correctement. « J’ai déjà mis mon camion en travers d’un site Arcelor-Mittal pour bloquer un chauffeur qui voulait en imposer à la petite jeune, et prendre mon tour. Je peux vous garantir que l’affaire a été vite réglée ! », raconte-t-elle avec le sourire. « Et j’assume pleinement ma féminité. Réussir une manœuvre délicate sous les yeux de machos qui attendent que je me plante, c’est carrément grisant. » Une vie de famille Anouchka Chodorowskyj sait déjà qu’elle devra un jour faire le choix entre sa vie professionnelle et sa vie de femme. « Je n’imagine pas de prendre le volant au petit matin en laissant mon enfant derrière moi. Je sais ce que mon père a manqué en étant absent toutes les semaines, et je n’ai pas envie de passer moi aussi à côté de tous ces moments. Je connais des femmes chauffeurs qui ont des enfants, mais je ne comprends pas comment elles arrivent à combiner harmonieusement leurs deux vies… La décision sera difficile, mais je la prendrai quand le moment sera venu. »

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