Nous nous sommes entretenus avec Martin Lundstedt et Bruno Blin sur les grandes tendances qui secouent le monde du camion et sur l’autonomie retrouvée de Renault Trucks au sein de Volvo Group. On entend beaucoup parler de ‘disruption’ chez Volvo Group en 2017. Est-ce un concept positif ou négatif pour vous ? Martin Lundstedt : Si vous prenez notre Agenda 2030 comme point de départ, vous vous rendez compte que le transport est de plus en plus au centre des défis. Je considère que c’est une bonne chose parce que nous avons les moyens d’atteindre ces objectifs. Si vous regardez les choses avec un peu de hauteur, vous voyez que la population va augmenter, que malgré les crises et les catastrophes naturelles la prospérité va augmenter et qu’il y aura donc plus de transport. Notre responsabilité, c’est de rendre ce transport plus responsable. Pour nos enfants.
Travailler en écosystème
Est-ce que les progrès technologiques vont suffire ? Martin Lundstedt : Non. Nous devons être humbles et travailler à la fois avec nos clients et avec leurs propres clients dans le cadre de nouveaux modèles de coopération. Sinon vous risquez en tant que constructeur de perdre votre position dans la chaîne de valeur totale. C’est pour cela que nous avons développé la plus large offre du marché en propulsions alternatives, que nous avons la flotte connectée la plus étendue au monde et que nous testons divers projets liés à la conduite autonome. Ces expériences serviront à toutes nos marques dans le monde entier. Dans l’écosystème actuel du transport routier, tout le monde est-il prêt à se laisser secouer de la sorte ? Martin Lundstedt : Ce n’est pas qu’il y ait un maillon faible dans la chaîne. Il faut surtout inventer de nouvelles manières de créer de la valeur et de la répartir. Aujourd’hui, trop de décisions sont prises à un seul niveau de la chaîne logistique, et ce n’est pas efficace. Il faudrait considérer cette chaîne de valeur davantage comme un seul flux… Et vous voulez jouer un rôle en vue dans ce flux, au-delà de votre statut actuel de fabricant de camions ? Martin Lundstedt : Bien entendu. Il nous arrive déjà de discuter à la fois avec nos clients et leurs propres clients dans une relation triangulaire. Cela nous aide à améliorer notre offre, en comprenant mieux quelles sont les ambitions des chaînes de la grande distribution, par exemple, en matière de CO2 ou de bruit. Vous sentez-vous menacé par les Tesla, les Nikola ou les Einride qui apparaissent un peu partout ? Martin Lundstedt : Restons humbles, mais l’accès à ce marché est assez élevé. Votre camion doit tenir 2 millions de kilomètres, et jusqu’à preuve du contraire, cela nécessite encore le travail de centaines d’ingénieurs, pas seulement de dix.Le camion, une simple commodité ? Le camion lui-même sera-t-il un jour une simple commodité ? Martin Lundstedt : Si vous prenez des environnements fermés comme les mines, où l’aspect émotionnel n’intervient pas du tout, le camion n’est qu’un élément d’un service. Là, nous aurons rapidement des véhicules autonomes et leur design, par exemple, n’aura plus d’importance. Dans le transport, ce côté ‘humain’ garde son importance. Mais allons-nous essayer d’étendre notre emprise au-delà de ce que nous faisons actuellement et proposer nous-mêmes des services de transport p.ex. ? La question peut être posée, mais devons-nous être un prestataire géant ou un bon intégrateur de solutions pour nos clients ? Mais si le camion lui-même est noyé dans un service complet, la marque Renault Trucks n’est-elle pas mieux placée pour l’avenir que la marque Volvo Trucks, qui joue davantage la carte technologique ? Martin Lundstedt : Nous avons deux marques, et nous croyons dans les deux. Chaque marque a ses moyens et ses responsabilités. Désormais, la marque Renault Trucks est véritablement de retour à Lyon, et cela crée de magnifiques opportunités pour le groupe et pour nos clients.
L’autonomie retrouvée de Renault Trucks
Comment cette autonomie retrouvée peut-elle se traduire en nouveaux produits pour les clients ? Bruno Blin : Nous avons reconstruit une organisation dédiée à Renault Trucks, qui se focalise sur ce que nos clients nous demandent. Mais nous pouvons aussi puiser dans les différents développements techniques réalisés au niveau du groupe. Si nous pensons qu’un développement particulier correspond aux besoins de nos clients, nous l’intégrons dans notre programme. Martin Lundstedt : La relation de Volvo Group avec ses marques, c’est un peu comme une relation de famille : nous avons dix marques, elles sont toutes différentes, mais nous les aimons toutes les dix de la même manière. Nous croyons à une délégation de responsabilité à chaque marque en matière de produits, de réseaux et de services. Aujourd’hui, je suis très heureux de voir Volvo Trucks et Renault Trucks se développer positivement à partir de leurs mérites et de leur héritage propres. Les équipes de Renault Trucks joueront-elles un rôle majeur dans le développement de votre futur camion de distribution ? Bruno Blin : Bien entendu ! Nous profitons de notre position plus forte dans ce segment, et c’est pour cela que nous avons introduit la technologie CNG ans notre gamme D… Et que peut-on attendre à l‘avenir ? Martin Lundstedt : Dans la distribution, les enjeux sont assez proches de ceux que nous connaissons dans notre division bus. Donc, nous continuerons à travailler sur l’électrification, sur les carburants alternatifs et sur la réduction des niveaux sonores. Nous avons une équipe complète à Lyon pour analyser cela. Ce sont des développements mondiaux, qui impliquent donc aussi la marque UD Trucks en Asie ? Martin Lundstedt : Absolument. La seule chose que je ne veux pas, c’est d’imposer à UD Trucks et à Renault Trucks de collaborer. C’est à eux de décider de le faire ou non. Une interview de Claude Yvens et de Philippe Van Dooren