Dirk Hautekeete est, depuis janvier, le nouveau directeur transport de Delhaize. Avec lui, nous dressons un état des lieux et évoquons l’organisation des transports, les efforts sur le plan écologique et la sécurité ainsi qu’une possible collaboration avec Albert Heijn dans le domaine du transport. Comment gérez-vous l’organisation d’opérations de transport aussi complexes ? Dirk Hautekeete : Le département est organisé en deux cellules différentes. La première se charge de la planification logistique et de la facturation tandis que l’autre s’occupe des opérations de transport proprement dites. Les flux sortants sont d’autant plus compliqués que tous les magasins ne sont pas réapprovisionnés de la même façon – il en va autrement pour un supermarché que pour un point d’enlèvement Shop & Go – et que les types de biens sont très variés. Les distances jouent également un rôle, notamment pour l’approvisionnement des magasins au Luxembourg. Ceci explique que 180 poids lourds en moyenne partent chaque jour du DCE, 125 du DCA, 185 du DCB, 30 des installations Frozen de XPO, 160 de Ninove et 35 de Katoen Natie. En outre, une partie de la distribution passe par Colfridis à Londerzeel qui amène les produits frais en quantités plus petites aux Proxy et Shop & Go. Malgré la congestion routière croissante, 89 % des poids lourds arrivent à temps, alors que la plage de livraison est d’une demi-heure pour les produits frais et d’une heure pour les produits secs. Comment réglez-vous le planning de tous ces poids lourds ? DH : Les commandes déterminent l’enlèvement dans les centres de distribution, après quoi le WMS pilote le TMS. Ce dernier applique des paramètres visant à ce que les poids lourds soient aussi chargés que possible. La planification proprement dite s’effectue de deux manières. Pour le ‘Fresh’, nous appliquons un planning fixe, avec des tournées régulières et toujours les mêmes chauffeurs. Nous pouvons évidemment moduler le tout en fonction des périodes de vacances et des événements spéciaux. Les chauffeurs chargent en outre eux-mêmes leur poids lourd car ils possèdent le savoir-faire. Pour les produits à température ambiante – boissons et produits secs -, le planning est variable afin de mieux l’ajuster aux commandes et à la capacité de transport. Ces produits nécessitent moins de savoir-faire et sont préchargés dans le centre de distribution.
51 chauffeurs en propre
Sous-traitez-vous tous les transports ? DH : L’ensemble des 730 semi-remorques appartiennent à Delhaize, mais l’essentiel de la traction est confiée à 116 sociétés de transport, dont Van Moer Distribution, pour un total de quelque 400 tracteurs. Notre propre activité de transport est marginale et en grande partie liée aux activités périphériques. Nos 51 chauffeurs propres absorbent les pics, amènent les semis à l’inspection technique et à l’entretien, etc. Par ailleurs, Zellik et Ninove possèdent leur propre garage occupant 33 ETP. Une situation historique mais qui nous donne aussi une meilleure vue d’ensemble sur l’exécution des transports. Delhaize considère le transport et la logistique comme un core business. Comment suivez-vous l’efficacité des transports ? DH : Depuis 2017, nous appliquons un certain nombre de KPI opérationnels. La distance moyenne d’un poids lourd par trajet est de 194 km, la distance moyenne par ‘drop’ est de 71 km, le nombre moyen de ‘drops’ par trajet est de 2,74, le nombre moyen de tournées par chauffeur est de 1,61 et le taux de chargement est de 85 %. Il s’agit du taux de chargement pour l’aller, je suppose ? DH : En effet. Pour le retour, les camions reprennent les emballages, les vidanges et les dollys. Nous avons étudié la possibilité de reprendre des volumes de fournisseurs situés à proximité en guise de retour, mais cet exercice n’a pas été concluant. L’approvisionnement est pour nous prioritaire, et les flux y sont déjà suffisamment complexes. Y ajouter une couche en cherchant des charges de retour hypothéquerait l’organisation des transports. Imposez-vous des normes écologiques à vos transporteurs ? DH : Ils sont payés en fonction de la norme Euro de leurs poids lourds. Nous exigeons Euro 5 au minimum. Mais nous faisons nous aussi des efforts pour rouler de façon plus écologique. Depuis 2010, nous avons acheté 6 tracteurs CNG. Ils sont surtout mobilisés en local, car leur puissance est toujours trop faible – environ 270 ch – et leur autonomie de 400 km est un peu juste. Nous étudions dès lors la possibilité d’exploiter plutôt des poids lourds au LNG, mais dans ce cas il y a le problème du ravitaillement. Bientôt, une station-service proposant du gaz naturel liquide ouvrira chez Remitrans à Ninove – à proximité du centre de distribution – ce qui offre des possibilités. Delhaize est-il prêt à payer davantage les transporteurs qui roulent au LNG ? DH : Non. Ce n’est pas le rôle du chargeur de subsidier des propulsions alternatives. Deux de nos transporteurs – Remitrans et Jost – investissent massivement dans le LNG. S’ils le font, c’est sur base d’une analyse de rentabilisation. Comment Delhaize traite-t-il les longs temps d’attente aux centres de distribution ? DH : Les temps d’attente constituent un facteur de coûts que nous essayons autant que possible d’éviter. Ils produisent un effet en cascade qui peut causer des livraisons trop tardives aux magasins. C’est pourquoi nous examinons comment les éviter au maximum au sein des DC. Les temps d’attente peuvent aussi être dus à des facteurs externes, comme une épidémie de grippe ou une augmentation inattendue de la température qui entraîne un pic subit de la demande de boissons ou de glaces par exemple. Nous essayons de nous y préparer afin justement d’éviter cet effet en cascade.
Transport de nuit
Dans certains secteurs, on essaie de traiter le problème en augmentant les transports de nuit. Quel est votre avis sur ce point ? DH : Positif. Nous avons d’ailleurs participé au projet PIEK et des semis adaptées à la norme PIEK circulent toujours. Mais ce projet nous a permis de déduire que les livraisons de nuit connaissent beaucoup de limites. L’organisation des DC doit y être adaptée, ce qui n’est pas évident. Et les magasins doivent être en mesure de prendre en charge les produits livrés. Leur capacité de stockage est souvent inadéquate. Le projet n’a d’ailleurs jamais été formalisé. Des transporteurs se sont récemment plaints des nouvelles mesures de sécurité. Le coût des formations et des contrôles de poids lourds était excessif, estimaient-ils. DH : Nous attachons énormément d’importance à la sécurité et c’est pourquoi nous participons par exemple à des actions au sein des écoles pour sensibiliser les enfants aux dangers de l’angle mort. Ce à quoi vous faites allusion, c’est une série de mesures introduites mi-2017. Les chauffeurs reçoivent un manuel décrivant toutes les précautions à prendre. Chaque nouveau chauffeur bénéficie d’une journée de formation et il commence toujours par transporter des produits secs ou des boissons. Ce n’est qu’ensuite qu’il pourra transporter des aliments frais. Ceci en raison notamment de la sécurité de la chaîne alimentaire. D’ailleurs, toutes les semis sont équipées d’un système de tracking d’Ubidata. Auparavant, nous utilisions des scellés pour vérifier si les portes avaient été ouvertes. Nous les suivons désormais par GPS et ‘geofencing’, ce qui permet de contrôler l’ouverture des portes et la température. Ceci étant dit : le différend de l’an passé avec certains transporteurs était dû à un malentendu sur l’accréditation de nouveaux chauffeurs notamment. Après concertation, il a été rapidement aplani. Ce fut en réalité une tempête dans un verre d’eau. Enfin : quid d’une collaboration éventuelle avec Albert Heijn en matière de transport ? DH : Nous parlons des meilleures pratiques et examinons la manière dont chacun organise ses transports. Nous n’allons pas au-delà. Nos chaînes d’approvisionnement sont organisées différemment. Ce n’est pas du tout le même modèle. Albert Heijn travaille de manière assez décentralisée avec davantage de centres de distribution locaux alors que nous travaillons avec des DC centraux. Une autre différence : la plupart des magasins AH sont plus grands que les nôtres. Ils possèdent beaucoup moins de petits magasins que nous. Un grand nombre de leurs produits diffèrent aussi des nôtres, ce qui change la méthode de stockage. Harmoniser les deux chaînes logistiques ne serait dès lors pas souhaitable, car elles perdraient beaucoup en efficacité. Delhaize en chiffres
- 753 magasins en Belgique et au Luxembourg : 141 supermarchés Delhaize, 234 AD Delhaize, 238 Proxy Delhaize et 140 points de collecte Shop & Go.
- 7 centres de distribution sur 3 sites : Zellik (DCE pour produits d’épicerie, DCA pour produits frais de 4 à 7°, DCB pour ceux de 2 à 4° et DC Frozen – sous-traité à XPO Logistics – pour les produits surgelés), Ninove (boissons – un entrepôt automatisé est actuellement construit pour les FMCG et qui sera opérationnel en 2018), Katoen Natie Gent (installation temporaire pendant les travaux d’extension du DC de Ninove) et CFL au Luxembourg.
- Les poids lourds effectuent 140.000 km par jour.
- Ils assurent 1.800 livraisons par jour, ou 1,25 à la minute.