Les rencontres inattendues : Diane Govaerts (CEO de Ziegler) et l’économiste Bruno Colmant

Voici le principe de cette nouvelle rubrique : organiser une rencontre entre une personnalité connue du monde du transport et une autre personnalité connue mais moins familiarisée avec le secteur. Et pour une première, ce fut une belle rencontre entre Diane Govaerts (CEO de Ziegler et Manager de l’Année 2023) et Bruno Colmant, professeur d’économie et CEO ad interim de la Fondation contre le Cancer.

L’interview a lieu au siège de Ziegler, en bordure du canal de Bruxelles. Bruno Colmant et Diane Govaerts ne se connaissent pas personnellement mais ils se sont croisés au cours de divers événements. Bruno Colmant aborde Diane Govaerts en lui demandant si elle n’a pas suivi ses études à Solvay. Elle répond par l’affirmative. « Alors, en tant qu’ex-Solvay, on peut se tutoyer ! », dit Bruno Colmant. Le ton est donné… mais nous nous en tiendrons au vouvoiement d’usage.

Chacun des deux interlocuteurs a dû se rappeler la première question qu’il aurait souhaité poser à l’autre après que le rendez-vous eut été confirmé. C’est Diane Govaerts qui ouvre le bal…

« C’est la faute à Ziegler ! »

Diane Govaerts : Comment percevez-vous le secteur du transport et de la logistique ?

Bruno Colmant : C’est un secteur indispensable, surtout quand on est un petit pays de transit, dont la valeur ajoutée consiste à fluidifier les différents types de transport. Si la Belgique a de bonnes infrastructures de transport, elle peut capter du PIB qui irait dans d’autres pays. Tout frein à la mobilité signifie donc une perte de compétitivité.

D. Govaerts : Heureusement, nous avons un bon réseau autoroutier, des aéroports de fret, les ports de mer, un bon réseau ferroviaire et des canaux ! Et au niveau du groupe Ziegler, cela nous permet d’exporter énormément pour notre industrie locale.

B. Colmant : La Belgique est un pays ‘flottant’ en ce sens qu’il n’est pas délimité par des barrières géologiques. Mais nous avons une ouverture par la mer vers le monde, et les pays qui sont ainsi ouverts sur le monde, comme les îles, ont toujours été plus entreprenants que les autres.

Je demande ensuite à Bruno Colmant de poser sa première question à Diane Govaerts, mais il nous surprend tous les deux.

B. Colmant : C’est une anecdote extraordinaire : mon arrière-grand-père Hippolyte Spinhayer a développé un système de transport de colis au début du vingtième siècle. L’entreprise était installée rue Picard, face à Tour & Taxis. Mon grand-père Jean a repris l’activité mais l’affaire a fini par faire faillite et j’ai toujours entendu mon grand-père dire que c’était à cause de Ziegler !

D. Govaerts (rit) : Ah bon ? Mais les deux entreprises étaient vraiment proches l’une de l’autre puisque le siège de Ziegler était rue Dieudonné Lefèvre ! C’était vraiment le centre logistique de Bruxelles avec le chemin de fer et le canal.

Nous passons ensuite à une deuxième phase de l’interview, centrée sur les trois ‘P’ du développement durable, à savoir people, Planet et Profit. Dans quel ordre les classent-ils ?

B. Colmant : Je ne les classe pas, je les mettrais en triangle. Nous sommes face à un défi systémique que nous ne résoudrons pas sans une grande intelligence collective et avec un financement capitaliste. Mais le néolibéralisme a été une catastrophe car il a précipité la consommation et a placé l’économie au-dessus du rôle de l’état. Dans le futur, tout ce qui concernera la planète sera résolu par une association plus étroite entre des états que l’on peut espérer clairvoyants et des entreprises capitalistes, dans le cadre d’une économie mixte.

D. Govaerts : Je me retrouve dans votre triangle mais je le mettrais quand même sur la pointe avec Profit en-dessous. Aujourd’hui, une entreprise qui ne se préoccupe pas de transition environnementale est perdue et puisque nous sommes une société de services, l’aspect humain est très important. Nous avons en fait trois défis à relever : le premier c’est d’être un employeur attractif. Chez Ziegler, nous avons par exemple créé un groupe de travail composé de collaborateurs de moins de 30 ans qui nous aident à comprendre les nouvelles attentes des jeunes aujourd’hui. Le deuxième défi c’est la transition environnementale et le troisième la transformation digitale.

Transition environnementale

T&B : Et comment abordez-vous la transition environnementale ?

D. Govaerts : Ne faisons pas l’autruche : notre activité est polluante et il y a beaucoup à faire. Quand Ziegler a débuté ses activités en 1908, le passage du cheval au camion permettait d’augmenter la rentabilité. Aujourd’hui, les nouvelles solutions coûteront plus cher mais plus on avance, plus j’ai l’impression que la durabilité pourra aller de pair avec la rentabilité. Par exemple, nos vélos-cargos permettent de livrer deux fois plus de colis qu’une camionnette.

B. Colmant : Quand j’entends l’argument « ça coûte cher », je me dis parfois que le transport ne coûtait pas assez cher avant parce qu’on n’a pas pris en compte les externalités.

D. Govaerts : Un autre exemple ce sont les véhicules de livraison autonomes que nous avons commandés. Ils nous aideront à avancer à la fois au niveau du défi environnemental et du défi digital. Cela permettra de faire des livraisons de nuit, les véhicules seront plus sûrs et cela aidera à pallier le manque de chauffeurs. Nous commencerons sur terrain privé, puis sur un tronçon de route ‘privatisé’ avec un véhicule d’escorte. Nous travaillons sur ce projet avec VIAS. L’objectif sera ensuite d’intégrer ce véhicule dans la circulation. Pour nous, c’est une obligation : Ziegler est une maison plus que centenaire mais nous devons être à la pointe de l’innovation.

Transformation digitale

T&B : Comment embarquez-vous toute une entreprise dans un projet de transformation digitale ?

D. Govaerts : La nature humaine n’aime pas le changement et un bon ‘change management’ est indispensable ! Nous avons aussi créé une Ziegler Academy qui propose des parcours au cœur de l’entreprise et de toutes ses filiales à l’étranger.
Nous avons aussi créé un centre d’innovation digitale en Pologne. Mais je distingue la digitalisation des services au client et l’automatisation qui a davantage pour but d’augmenter l’efficacité et la rentabilité en interne. Il y a beaucoup de tâches répétitives qui peuvent être effectuées par des machines…

B. Colmant : … mais il n’y aura pas que celles-là ! Beaucoup de professions intellectuelles vont se faire remplacer par l’intelligence artificielle. La révolution industrielle qui est à l’œuvre aujourd’hui est d’ailleurs la première qui ne soit pas dictée par une nouvelle énergie comme la vapeur, l’électricité, le pétrole ou le nucléaire. Toute l’économie va en être affectée et on n’en est encore qu’au tout début.

T&B : A quoi ressemblera Ziegler dans 20 ou 30 ans ?

D. Govaerts : La base de notre révolution digitale, ce sont les data. Elles font de nous des architectes qui optimisent la supply chain de nos clients sur trois plans : la vitesse, le coût et les émissions de CO2. Chez nous, il y a de plus en plus d’analystes et le niveau d’expertise va encore progresser.

T&B : Faut-il partager ses data ?

D. Govaerts : Bien sûr. Nous allons migrer vers ce modèle-là. Ce sont ces différentes sources de data qui permettront à une entreprise d’être agile. Et comme tout évolue de plus en plus vite, il faut pouvoir s’adapter de plus en plus vite aussi.

B. Colmant : Je suis très impressionné par ce que je viens d’entendre. J’aime beaucoup cette idée d’architecte. Un architecte c’est aussi quelqu’un qui est capable de consolider un marché ! Mais je suis aussi persuadé qu’on est très loin de l’optimal industriel et que les data vont permettre de s’en rapprocher. Les entreprises qui auront accès à une surface de data plus large et qui comprendront avant les autres quelle valeur ajoutée elles peuvent tirer des data seront justement capable de devenir des architectes consolidateurs.

T&B : Mais pour élargir ce que M. Colmant appelle la ‘surface des data’, faut-il aussi partager ses data avec, par exemple, ses concurrents ?

D. Govaerts : Ce n’est pas un tabou.

T&B : Clôturons si vous le voulez bien par un dernier mot sur la transition environnementale. Bruno Colmant a parlé de consommation excessive, mais c’est ce qui a fait croître le volume des transports…

D. Govaerts : Peut-être mais cela n’a plus aucun sens de produire un t-shirt pour 50 centimes à l’autre bout de la planète. Si l’économie se démondialise, il y aura peut-être un peu moins de transport maritime mais plus de logistique de proximité !

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