Le 31 mai, la commissaire aux Transports Violeta Bulc présentera son ‘Initiative routière’ tant attendue. L’une de ses propositions comprendra des adaptations aux règles de temps de conduite et de repos, et plus précisément au long repos hebdomadaire. Ces mesures éveillent la défiance des pays de l’Europe de l’Ouest et de l’Europe de l’Est. Il ressort des documents dévoilés que la controverse sera très grande. Tout tourne autour du repos en cabine, une pratique qui consiste à laisser rouler en Europe de l’Ouest des chauffeurs de l’Est qui ne rentrent jamais chez eux et passent leurs week-ends ici sur des parkings dans des conditions lamentables. Cette pratique est-elle permise ou pas ? Ce n’est pas % clair à 100%. Le Règlement 561/2006 prévoit que les chauffeurs doivent pouvoir bénéficier d’un repos hebdomadaire normal de 45 heures au minimum une fois toutes les deux semaines. Mais peuvent-ils passer ce long repos dans la cabine ? Ou doivent-ils bénéficier de conditions d’habitation et de sommeil distinctes, avec des équipements sanitaires et autres ? Beaucoup estiment que ce n’est pas clair. Plusieurs États membres considèrent que le repos en cabine est inhumain (et anticoncurrentiel). Ils ont dès lors introduit une interdiction au repos de 45 heures dans la cabine dans leur législation nationale. La Belgique, la France, l’Autriche et depuis peu l’Allemagne appliquent cette interdiction.
L’Alliance Routière de l’Europe de l’Ouest
Fin janvier, les ministres des Transports de 9 pays de l’Europe de l’Ouest – dont le belge François Bellot – ont signé l’Alliance Routière à Paris. Ils ont indiqué très clairement que les conditions de concurrence dans le transport européen devaient être plus loyales. Ils ont notamment exigé de mettre en place des mesures garantissant un équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle des chauffeurs. En d’autres termes, ils ont demandé à la Commission européenne d’interdire formellement le repos en cabine. Ensuite, les choses se sont enchaînées rapidement. Quelques jours plus tard, l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union européenne – répondant à une question introduite par le Conseil d’État belge – estimait qu’un chauffeur ne pouvait pas prendre son long repos hebdomadaire à bord de son véhicule (voir encadré). La Cour ne s’était pas encore prononcée définitivement lors de la rédaction de cet article, mais elle suit généralement son avis. Cependant, le fait que le Conseil d’État a dû s’adresser à la Cour européenne pour obtenir des éclaircissements est mauvais signe. Les règles européennes actuelles ne sont donc pas concluantes.
L’Europe de l’Est sur la défensive
Lors de son entrée en fonction il y a près de trois ans, la commissaire aux Transports Violetta Bulc a d’ailleurs reçu la mission de préciser ces règles (ainsi que celles relatives au cabotage, au système de péage européen, etc.). Mais c’était sans compter les États membres de l’Europe de l’Est qui craignent notamment que la position concurrentielle qu’ils ont acquise depuis plusieurs années s’affaiblissent si le long repos hebdomadaire dans la cabine devait être formellement interdit. Ils avancent que les usines d’Europe de l’Est sont approvisionnées presque exclusivement par des transporteurs des pays de l’Est et que ces mêmes transporteurs distribuent les produits manufacturés dans l’UE. « Si des restrictions sont imposées, les prix de ces produits vont augmenter et des centaines de milliers d’emplois en Europe de l’Est vont disparaître », affirment-ils. Beaucoup estiment qu’il s’agit d’un raisonnement spécieux. Ces transporteurs craignent pour leur business model. Il est incontestable que les États membres de l’Europe de l’Est ont mené un lobbying considérable à Bruxelles, car il s’est avéré contre toute attente il y a quelques semaines que la Commission européenne ne souhaitait pas se limiter à préciser les règles actuelles. Elle veut également les adapter. C’est aussi pourquoi Violeta Bulc présentera son Initiative routière avec tant de retard, soit un an plus tard que prévu.
Documents dévoilés
Le texte de Violeta Bulc sera présenté le 31 mai, mais les spéculations sur son contenu vont bon train dans les couloirs bruxellois. En effet, plusieurs documents de travail ont fui. La question à cet égard est de savoir s’ils sont (quasi) définitifs ou pas. Certaines sources ont évoqué l’introduction de ‘règles mathématiques’ qui ignoreraient les temps de repos. Cela signifierait que la Commission introduirait davantage de flexibilité, mais aussi plus de limitations. En outre, elle mettrait l’accent sur les besoins sociaux du chauffeur, pas tant sur les effets du repos en cabine sur la concurrence sur le marché. Le chauffeur pourrait prendre son long repos dans la cabine au cours d’une période déterminée, à condition qu’il retourne régulièrement dans le pays où le véhicule est immatriculé ou où il a sa résidence principale. On laisserait donc rentrer le camion, le chauffeur ou les deux.
Retour à la maison
Or, étant donné que la Commission veut résoudre un problème social et non un problème sur le marché, la préférence serait donnée au retour obligatoire du conducteur dans son pays d’origine et non dans le pays dans lequel le véhicule est immatriculé. Dans le cas d’un Bulgare au volant d’un camion slovaque, le conducteur devrait abandonner son véhicule et rentrer à la maison en avion. On ignore à quelle fréquence il devrait retourner chez lui et si le système peut être combiné avec un repos de week-end dans la cabine. Selon la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF, les syndicats européens), les chauffeurs pourraient passer trois à quatre semaines successives dans leur cabine et rentrer à leur domicile à la fin du mois. Un système qui prévoit que le conducteur rentre avec le camion est peu probable. Le cas échéant, la probabilité que le véhicule soit vide sur le chemin du retour est trop élevée. Une telle situation serait inefficace économiquement et écologiquement. Or, ce ne sont là que des suppositions. Les propositions de Violette Bulc ne seront connues que le 31 mai. Ensuite commencera le véritable débat : au sein du Parlement européen et du Conseil européen des ministres des Transports. ça va chauffer indubitablement ! La lutte entre les ‘anciens’ et les ‘nouveaux’ États membres est loin d’être terminée.
« Non, non »
La décision de l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union européenne est une réponse à une question introduite par le Conseil d’État belge. Celui-ci souhaitait des éclaircissements sur l’interprétation de la directive européenne sur les temps de repos et de conduite et plus précisément sur le ‘long repos hebdomadaire’. La question a été introduite après une plainte déposée par la société de transport Vaditrans de Tamise contre un AR de 2014. Celui-ci prévoit que le ‘long repos hebdomadaire’ pour les chauffeurs ne peut plus être passé à bord du camion et que les contrevenants sont passibles d’une amende de 1.800 euros. Cette règle a été adoptée à l’initiative de John Crombez, à l’époque secrétaire d’État à la Lutte contre la fraude sociale. Le 2 février dernier, l’avocat général M. Tanchev concluait dans un avis motivé que les périodes de repos hebdomadaires ne pouvaient pas être passées à bord du véhicule. Toutefois, la Cour doit encore se prononcer définitivement.