Andreas Cremer (Febiac): « Soyons un catalyseur d’énergies vers le ‘zéro émissions’ »

Nous avons parlé avec Andreas Cremer, CEO de la Febiac, de l’évolution globale du marché du camion en Belgique et des défis qui attendent les constructeurs.

Au cours de l’année 2023, le marché belge du poids lourd a connu deux phases distinctes : une quasi euphorie lors des premiers mois quand les usines ont à nouveau pu rattraper leurs retards de production et une deuxième moitié placée sous le signe des incertitudes économiques.

Retour à la stabilité ?

Truck & Business : Comment percevez-vous le marché actuel quand vous entendez les membres de la section ‘trucks’ ?
Andreas Cremer : 2023 a vraiment été une année haute mais c’était sous l’influence des conditions qui avaient prévalu les deux années précédentes. Nous avons réussi à ramener les délais de livraison à un niveau normal et aujourd’hui il n’y a plus de problèmes à ce niveau. Par contre, la hausse des prix et la hausse des taux d’intérêt mettent un frein au marché. Dans ce contexte, j’espère que nous pourrons revenir à une forme de stabilité, ce qui permettrait au marché belge de revenir à un niveau pré-corona. Pour 2024, j’estime que l’on devrait immatriculer environ 7500 véhicules de plus de 16 tonnes, soit un chiffre qui correspond à la moyenne des dix dernières années.

T&B : Il y a quand même une baisse de la demande…
A. Cremer : Oui, c’est indéniable. J’ai déjà signalé les effets de la hausse des taux d’intérêt mais il y a aussi des facteurs d’incertitude économique qui pèsent sur les décisions d’achat.

T&B : Comment évoluent les ventes de camions électriques en Belgique ?
A. Cremer : L’an dernier on a immatriculé 59 camions électriques de plus de 16 tonnes. Cela représente un doublement par rapport à 2022 mais les camions électriques ne prennent toujours que 0,7 % du marché total à leur compte. C’est moins que la moyenne européenne qui est de 1,1 % et c’est surtout beaucoup moins que dans des pays comme la Suède, la Suisse ou les Pays-Bas où la part de marché du camion électrique est déjà de 3 à 5 %.
Cependant, je reste optimiste car la demande augmente. Pour la soutenir, je pense qu’il faut continuer à stimuler le marché avec des incentives mais aussi en simplifiant les procédures pour les obtenir.

Ecosystème électrique

T&B : Il y a aussi la question de la mise en place d’un écosystème autour du camion électrique…
A. Cremer : Oui mais c’est le cas chez nos voisins aussi. Aux Pays-Bas, par exemple, tout n’est pas parfait : à Venlo les problèmes de raccordement au réseau électriques sont importants. Mais pour en revenir à la Belgique, il faut se rendre à l’évidence : l’écosystème de tous les acteurs autour de l’électrification ne fonctionne pas encore à plein régime. Le positionnement clair d’Elia et de Fluvius, entre autres, lors de l’Automotive eMotion Summit en matière d’investissements et de feuille de route a été très instructif et rassurant.

T&B : Quel rôle la Febiac peut-elle jouer pour améliorer le fonctionnement de cet écosystème ?
A. Cremer : Je vois ce rôle en deux phases. Dans la première, il faut encore convaincre beaucoup de flottes qu’il existe une alternative au moteur thermique. Dans une deuxième phase, les constructeurs doivent continuer à étendre leurs gammes pour couvrir davantage de besoins. Mais en tant que fédération, nous devons aussi faire en sorte que toutes les parties prenantes, à commencer par les autorités, mais aussi avec toutes les sociétés qui transportent et distribuent l’électricité comme Elia, Fluvius, Ores et Sibelga, se rapprochent les unes des autres et lancent des actions concrètes et communiquent dessus.

T&B : Et au niveau du lien entre les constructeurs et les clients ?
A. Cremer : Là aussi il y a du travail. Je remarque qu’il y a encore beaucoup de gestionnaires de flotte, et c’est normal à ce stade, qui n’ont pas assez de connaissances sur des facteurs importants quand on veut acheter un camion électrique, comme l’achat d’énergie ou la connexion au réseau de distribution. Cela ralentit clairement les processus d’a chat.
Les constructeurs ont des objectifs CO2 assez difficiles à atteindre (ces objectifs obligent en quelque sorte les constructeurs à vendre davantage de camions électriques, NDLR) mais les autres maillons de la chaîne n’ont pas encore ce type de contraintes. Les règles CSRD, liées au Green Deal, qui s’appliquent pour l’instant aux grandes entreprises commencent à mettre de la pression de l’autre côté de la chaîne mais c’est avec les taxes supplémentaires sur le CO2 dans le cadre du ‘carbon pricing’, à partir de 2027, que les mesures vont vraiment commencer à converger.

« La pression sur les émission de CO2 ne doit pas reposer que sur les constructeurs. »

T&B : Nous allons voter à tous les niveaux cette année. Qu’attendez-vous précisément des différents niveaux de pouvoir ?
A. Cremer : Un meilleur alignement entre les mesures prises au niveau fédéral, régional et local. Pour l’instant, les incitants et les pénalisations ne sont pas alignés. La Flandre a déjà fait plusieurs pas en avant avec sa prime à l’achat de camions électriques et avec le projet de taxe kilométrique réduite pour les véhicules à zéro émissions mais les deux autres régions n’ont pas encore fait grand-chose. Au niveau européen, il faudrait aussi s’assurer que la concurrence reste équitable entre les états membres et apporter davantage de sécurité juridique à toutes les parties.

Data et algorithmes

T&B : Qu’est-ce que tout cela va changer à la relation entre un transporteur et son concessionnaire ?
A. Cremer : ce dont je suis certain, c’est que le client voudra toujours obtenir un bon véhicule fiable à un prix correct. Que certains veuillent obtenir cela via un contact exclusif avec le concessionnaire et/ou après avoir analysé ses data et obtenu un conseil auprès d’un tiers sur les meilleurs choix technologiques importe peu. Ce qui compte, ce n’est pas qui accompagne le client mais comment le client est satisfait de cet accompagnement. Dans ce contexte, la discussion sur le fait de savoir s’il vaut mieux, pour une marque, travailler avec des agents ou avec des concessionnaires n’est pas pertinente.
Ce qui est certain par contre, c’est que l’électrification rend le pouvoir des data encore plus grand, pour autant que nous puissions les transformer en une réelle valeur ajoutée pour le client, quel que soit le maillon qui interprète ces data. Cela pourrait tout aussi bien être un algorithme.
Le constructeur doit choisir ce qu’il fait lui-même et ce qu’il confie au concessionnaire. Mais si les constructeurs prennent les mauvaises décisions, si cela crée un manque de transparence vis-à-vis du client, il y a un risque de voir apparaître de nouveaux joueurs sur le marché.

T&B : Le travail de la Febiac doit-il s’étendre aux chargeurs, qui sont les clients des transporteurs ?
A. Cremer : Probablement. En tant que fédération, nous sommes technologiquement neutres et nous pouvons transmettre des messages importants aux entreprises qui seront de plus en plus concernées par les règles CSRD. C’est quelque chose qui pourrait aussi se passer sous la coupole de Mobia, avec la collaboration des fédérations de transporteurs.
Mais il est certain que les chargeurs doivent donner à leurs transporteurs la possibilité de faire leurs premières armes avec les camions électriques et accepter, au début du moins, une certaine différence de tarifs. Un instrument très utile à cet égard pourrait être un calculateur TCO unanimement reconnu par toutes les parties.

Un tel instrument pourrait par exemple être développé par l’ITLB, dont les indices de prix de revient font autorité en Belgique…

Les constructeurs sous pression

« Pour l’instant, il n’y a que les constructeurs à avoir été mis sous pression par tous les plans européens de décarbonation », estime Andreas Cremer. Chaque marque doit en effet réduire ses émissions de CO2 (comprenez par là les émissions moyenne de tous les véhicules qu’elles vendent) par rapport à une valeur moyenne établie en 2019/2020. « Le premier objectif fixé en 2025, soit -15 %, a été relativement simple à atteindre. L’objectif suivant, soit -25 %, sera plus compliqué à atteindre et les suivants (toujours au stade de la négociation, NDLR) encore plus. Si un constructeur manque sa cible pour 5 %, par exemple, les amendes imposées par la Commission seront très élevées. Cette pression devra maintenant être mieux répartie. » Sur les acheteurs de camion ? « La mesure a été envisagée mais elle serait très difficile à contrôler », estime-t-il. Selon lui, l’application d’une taxe carbone sur les carburants fossiles serait un moyen d’action beaucoup plus efficace car il aurait un impact direct sur le TCO et serait répercutable sur les tarifs de transport.

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