Filip De Clercq (Gilbert de Clercq) : « Se différencier par l’innovation »

Ces dernières années, le marché du transport a été caractérisé par la volatilité. Comment s’y adapter sans perdre des yeux sa vision de l’avenir ? Nous avons posé la question à Filip De Clercq, CEO du ‘Super Transporteur’ Gilbert De Clercq de Temse.

Truck & Business : Les dernières années ont été assez agitées. Comment le marché a-t-il évolué ?
Filip De Clercq : Après la crise du coronavirus, les activités ont repris de plus belle, mais en 2023, cela s’est nettement calmé, d’abord dans le transport, puis dans la logistique. Cela a généré des défis nouveaux et différents.

EBITDA de 14 %

Une première source de tension a été l’augmentation considérable des coûts alors que les prix étaient d’emblée mis sous pression. Deuxième source de tension : la recherche d’une utilisation optimale de la flotte. Subitement, on n’utilisait qu’à peine 90 % de nos camions, alors qu’auparavant ils étaient exploités à 110 %. Il faut alors absolument éviter une exploitation ‘sous-optimale’ de la flotte. C’est-à-dire qu’il faut s’adapter et penser différemment. Et cela signifie aussi, sur le plan commercial, attaquer de nouveaux marchés et, si nécessaire, changer d’orientation. Notre groupe a réussi à augmenter son chiffre d’affaires d’environ 1 % en 2023 pour un EBITDA de 14 %.

T&B : Quelle est la situation aujourd’hui ?
F. De Clercq : Calme. L’année 2024 a plutôt bien commencé, même si le marché reste difficile, tant en termes de volumes que de rentabilité. Heureusement, nos activités sont diverses. Les branches les plus importantes sont l’alimentation et l’emballage. Nous sommes aussi actifs dans la chimie, les déchets, les produits de construction, l’emballage et la pharmacie. La crise sanitaire passée, nous nous en sommes très bien sortis et après la baisse de l’an dernier, nous sommes revenus à notre niveau normal. Dans les secteurs pharmaceutique et de la santé – une activité récemment lancée -, nous constatons une croissance nette mais progressive. Cela nous permet d’accumuler du savoir-faire.

T&B : L’évolution dans le transport international est-elle différente de celle du transport national ?
F. De Clercq : A l’international, nous ressentons la concurrence des transporteurs d’Europe de l’Est, qui sont encore plus agressifs qu’avant. La pression est donc très forte sur les prix.
Sur les courtes distances, en revanche, nous pouvons encore croître. Nous avons réussi à attirer de nouveaux clients et des volumes supplémentaires. Aujourd’hui, le ratio Benelux/international est d’environ 50/50. Si l’on inclut les filiales espagnoles et slovaques, le ratio est de 30/70. A l’international, nous sommes essentiellement actifs sur deux axes. Nord-Sud : Benelux, France, Espagne et Portugal. Et Ouest-Est : Benelux, Allemagne, Danemark, Autriche et Slovaquie. L’axe Nord-Sud se porte actuellement un peu moins bien en raison du malaise en France. Quoi qu’il en soit, il faut maîtriser encore plus les coûts afin de maintenir les marges.

T&B : Où se situe la croissance stratégique de Gilbert De Clercq ?
F. De Clercq : L’accent est mis sur la croissance du marché local au Benelux, en Slovaquie et en Espagne. Si nous voulons nous développer à l’international, ce sera plutôt dans les transports entre nos implantations. Nous pouvons alors profiter de notre réseau local pour organiser efficacement les transports du dernier kilomètre. Par ailleurs, nous préférerions mettre en place des transports intermodaux entre les trois régions. Mais cela reste un sacré défi.

Croissance de la logistique

T&B : Dans quelle mesure la logistique est-elle stratégique ?
F. De Clercq : Depuis 2014, la part des activités logistiques est passée de 4 à 16 % du chiffre d’affaires. L’accent est mis sur les activités de soutien aux transports. En effet, l’entreposage est très capitalistique, d’autant plus que nous avons choisi d’être ‘asset based’. Aujourd’hui, nous disposons de cinq sites logistiques : Puurs (81.500 m²), Bornem (17.500 m²), Temse (11.500 m²), Sint Niklaas (26.500 m²) et Zele (17.500 m²).

T&B : Au niveau du transport, envisagez-vous une croissance par le biais d’acquisitions ?
F. De Clercq : On constate un net mouvement de consolidation sur le marché. D’un côté, vous avez beaucoup de private equities qui privilégient les acquisitions et, de l’autre, des transporteurs plus âgés qui vendent leur entreprise parce qu’ils n’ont pas de successeur ou qui trouvent le défi de la transition énergétique trop difficile. Le marché de l’acquisition est donc plus vivant que jamais.
Nous recherchons également des opportunités, mais seulement si le portefeuille de clients repris peut soutenir notre croissance. Dans le passé, on reprenait souvent une entreprise pour augmenter la capacité – en roues et surtout en chauffeurs – mais ce besoin est actuellement moins aigu. Dans notre cas, cela a été moins nécessaire en raison de notre croissance essentiellement organique et nous avons assez bien réussi à attirer et à fidéliser suffisamment de chauffeurs grâce à une politique RH efficace.

T&B : La pénurie de chauffeurs a-t-elle été résolue ?
F. De Clercq : Temporairement, le besoin n’est plus aussi prégnant, mais le problème n’a pas disparu. Sur 100 chauffeurs qui arrivent sur le marché, seuls 83 entrent dans la profession. C’est une réalité pour laquelle il n’y a pas de solutions à court terme. C’est en partie pour cette raison que nous avons mis davantage l’accent sur l’intégration et la rétention au cours des dernières années. Lorsque la pénurie de chauffeurs redeviendra aiguë en 2026 ou 2027, comme le prédit l’IRU, nous espérons que cela jouera à notre avantage.

« La pénurie de chauffeurs est temporairement moins aiguë, mais le problème n’a pas disparu. »

L’e-CMR de préférence

T&B : Comment innovez-vous en pratique ?
F. De Clercq : Nous innovons dans différents domaines. Nous utilisons l’e-CMR depuis quelques années et cela se passe bien. Hélas, il n’est pas encore possible d’abandonner la CMR papier au niveau européen. Nous n’utilisons l’e-CMR qu’en Belgique. A grande échelle dans le transport de déchets – même dangereux – et à plus petite échelle dans le transport conventionnel. De nombreux chargeurs ne suivent pas encore le mouvement et ne voient pas les avantages de l’e-CMR. Il y a aussi une part d’ignorance, tous les points de (dé)chargement ne disposant pas du QR code spécifique requis pour utiliser l’e-CMR. L’ensemble de la chaîne doit être impliquée, faute de quoi le succès de l’e-CMR restera modeste. Idéalement, le gouvernement devrait jouer un rôle régulateur et, surtout, stimulant à cet égard.
Nous innovons aussi dans le contrôle de la consommation et des émissions de CO2. Mais nous voyons aussi plus large en déployant le LNG et le HVO et en nous préparant notamment à l’électrification et même à l’utilisation de l’hydrogène. Nos camions LNG passent en ce moment en partie au bio-LNG pour remplacer le gaz fossile.

T&B : Utilisez-vous encore les camions LNG après la crise énergétique qui a fait exploser le prix du gaz ?
F. De Clercq : Nous avons une vingtaine de tracteurs LNG. La crise énergétique a eu un impact, mais elle a été temporaire… même si les prix du gaz sont toujours plus élevés qu’avant la crise. Nous avons beaucoup appris, ce qui nous aidera à prendre les bonnes décisions à l’avenir. Chaque carburant connaît une évolution différente. En comprenant mieux les mécanismes de tarification et en leur appliquant des modèles de calcul spécifiques, nous pouvons faire de meilleurs choix.
D’ailleurs, ce sont de plus en plus les clients qui décident du combustible ou de la forme d’énergie. Nous discutons toujours de ce choix avec eux.

T&B : Leur proposez-vous le ‘HVO insetting’ ?
F. De Clercq : On ne trouve pas du HVO ou du bio-LNG partout. Si vous voulez offrir ces carburants au client, vous devez le faire via l’insetting. Le client recevra alors un certificat pour les litres qui ont été utilisés pour lui.
Pour l’instant, force est de constater que peu de chargeurs sont réellement prêts à opter pour le HVO, car aujourd’hui, le prix prime sur les objectifs écologiques. Cela pourrait changer avec la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Celle-ci est désormais en vigueur pour les plus grandes entreprises, mais elle sera progressivement élargie. Les émissions de CO2 ‘Scope 3’ doivent également être incluses dans le reporting. A terme, l’obligation de déclaration devrait donc accroître la volonté d’utiliser des carburants et des formes d’énergie plus respectueux du climat.

T&B : Comment l’électrification de la flotte s’intègre-t-elle dans ce contexte ?
F. De Clercq : Tout d’abord, notre flotte de voitures nous en apprend beaucoup à ce niveau. Environ 40 % d’entre elles sont déjà électriques. Nous utilisons des bornes de recharge intelligentes avec ‘équilibrage de charge’ et qui tiennent compte du rendement de nos panneaux solaires. La recharge se fait intelligemment en fonction du soleil. Les bornes de recharge tiennent donc compte des prévisions météorologiques. Et les excédents sont intelligemment répartis entre les différents sites.

Apprendre avec les camions électriques

Sur la base de ce savoir-faire, nous allons bientôt utiliser des camions électriques. Les deux premiers ont déjà été commandés chez Scania. Ils devraient être livrés au second semestre. Pourquoi seulement deux ? Parce que nous voulons d’abord étudier les itinéraires sur lesquels ils peuvent être utilisés le plus efficacement, les infrastructures de recharge requises, les endroits où elles sont nécessaires, etc.
Deux e-trucks, ce n’est pas un problème, surtout utilisés comme navettes entre nos entrepôts. Mais 20 ou 60, c’est un sérieux défi en termes de systèmes de batterie, d’achats d’énergie, d’espace pour recharger, de gestion des itinéraires… L’expérience acquise avec nos tracteurs LNG nous aidera bien dans le déploiement des véhicules électriques à batterie.

« A terme, l’obligation de déclaration devrait accroître la volonté d’utiliser des carburants plus respectueux du climat. »

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