« Cette année, nous prendrons les mesures nécessaires pour doubler le chiffre d’affaires à l’horizon 2025. Cela ne veut pas dire vouloir être le plus grand le plus vite possible. Mais nous voulons croître efficacement. Cela sera d’ailleurs nécessaire pour pouvoir absorber la pénurie de chauffeurs », déclare Bart Pattyn, administrateur délégué d’Eutraco. Pour donner corps à ses projets d’avenir, il se repose depuis peu sur le CEO Serge Gregoir. Pour Eutraco, 2017 fut tout à la fois une année de belle croissance et de contretemps. Fin 2016, Caterpillar décide en effet de fermer son site de Gosselies. Conséquence pour la société de Roulers qui y effectuait des activités logistiques au profit du groupe américain : le déclenchement de la procédure Renault et le licenciement de collaborateurs logistiques. Eutraco se chargeait aussi d’une partie des transports. « Nous avons conservé les chauffeurs, en vue d’une nouvelle croissance dans la région », explique Bart Pattyn. « Je crois toujours dans la région de Charleroi. Malgré la fermeture de Caterpillar. Je prévois un développement de la région au cours des 10 prochaines années en tant que plate-forme logistique », dit Bart Pattyn. Aujourd’hui, cette activité n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais les opportunités sont grandes, estime-t-il. « Je pense que Charleroi peut offrir une belle alternative pour la distribution vers la France et l’Allemagne et que certaines activités d’Anvers, affectée par la problématique des embouteillages, pourraient très bien y être déménagées. » Mais il est indéniable que la fermeture de Caterpillar a eu un impact important. « En 2017, nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 55 millions, contre 57 millions en 2016. Sans Caterpillar, nous aurions connu une belle croissance, mais bon… D’ailleurs, nous visons pour 2018 une augmentation du chiffre d’affaires d’au moins 10 % », ajoute Serge Gregoir. Le CEO, qui est passé à l’automne 2017 d’Ewals Logistics Control où il était managing director à Eutraco, doit soutenir cette croissance. « Notre but est de doubler le chiffre d’affaires d’ici à 2025 et de dépasser le cap des 100 millions », déclare-t-il. Nouvelles reprises en vue Ces dernières années, Eutraco a connu une croissance tant organique qu’externe. « En 2006, nous avons repris Transport Maes de Gits, en 2007 Altra Colin de Ransart, en 2008 Jawa de Roulers et en 2010 Luvinex d’Aalter. Nous avons aussi créé une filiale française à Roubaix, juste au-delà de la frontière », poursuit Bart Pattyn. « Pour notre évolution future, nous misons sur la croissance interne et externe. Il faut s’attendre à de nouvelles reprises. Nous nous y préparons déjà. Y compris à l’étranger. Nous voulons nous renforcer là où nous sommes déjà forts », dit-il. Les cibles se situent dans le Benelux et en France, ainsi que dans le secteur des charges complètes ou partielles et du groupage. Mais cela peut aussi être dans la logistique. « Nous disposons déjà de 65.000 m2 d’entrepôts et nous voulons croître aussi dans ce secteur. Le mélange de transport et de logistique plaît clairement aux clients. » Sciemment, la société ne cible aucun acteur de niche. « Nous sommes surtout actifs dans les charges industrielles (acier, construction, etc.), le papier, le carton et les emballages, le recyclage et les déchets et dans l’alimentaire (non frigorifique). Si le portefeuille n’est pas assez diversifié, le risque est trop grand de tomber malade soi-même si un secteur est malade », souligne S. Gregoir. De plus, B. Pattyn s’attend à un important mouvement de concentration dans le secteur. « Les grands acteurs maîtrisent maximum 10 % du marché. Ils rechercheront davantage d’efficacité, e.a. à cause du manque de chauffeurs, et opéreront donc à une plus grande échelle. Les transporteurs disposant de 10 à 30 poids lourds éprouveront nettement plus de difficultés. Ils doivent supporter des coûts et des frais généraux en hausse avec trop peu de camions. Ils auront davantage de mal à respecter la législation qui se complexifie et à conserver ou attirer des chauffeurs. Les chargeurs réclament aussi davantage de solutions IT. Leur problème est un problème de taille. Mais la concentration est bénéfique : elle élimine du marché ceux qui cassent les prix du marché et les ‘cow-boys’ », estime-t-il. Pénurie de chauffeurs La pénurie de chauffeurs va aussi stimuler le mouvement de concentration. Les sociétés plus petites avec de bons chauffeurs seront donc en ligne de mire. « Cette pénurie générale touche toute l’Europe. Mais en Flandre Occidentale, le problème est encore plus aigu qu’ailleurs. A Roulers, le chômage est de 2,7 % à peine. Chez nous, il est encore plus difficile de recruter des chauffeurs. Nous pourrions en engager 50 immédiatement. Et vu que le transport national représente un tiers de notre activité, les sous-traitants étrangers ne conviennent pas vraiment », affirme S. Gregoir. « Nous avons dès lors transformé la division RH en profondeur pour en faire un département ‘People Care’. La priorité est de conserver le personnel existant et de rendre la société aussi attractive que possible pour les nouveaux venus. Chez Eutraco, c’est ‘people first’. Les chauffeurs constituent des ‘communautés’. S’ils sont satisfaits de leur société, cela se sait rapidement dans le secteur et son pouvoir d’attraction augmente », ajoute S. Gregoir. Selon B. Pattyn, le secteur peut devenir plus attrayant si les salaires sont revus à la hausse. « En fait, un chauffeur peut gagner assez bien sa vie… s’il ne compte pas ses heures. Donc, les salaires horaires devraient augmenter pour rendre le job plus attractif. » Mais selon lui, cela ne suffirait pas. « L’image est mauvaise et un jeune de 18 ans ne s’enthousiasme pas à l’idée de devenir chauffeur. Il faut donc informer et sensibiliser davantage afin de lutter contre cette perception négative. » « Ces défis ne sont pas minces », dit S. Gregoir. « Soyons lucides : à de nombreux égards, être chauffeur n’a rien de plaisant. Il y a les files, la législation complexe, l’effet Big Brother de l’ordinateur de bord et d’autres applications technologiques, sans parler des temps d’attente ni de l’accueil chez les clients qui laisse souvent à désirer. Nous travaillons donc aussi sur la sensibilisation des clients : des ‘créneaux horaires’ inadaptés ou trop justes génèrent du stress chez le chauffeur et des coûts supplémentaires pour le transporteur. » Rechercher des solutions avec les chargeurs « Il est important que nous cherchions des solutions avec les chargeurs afin de rendre le transport plus efficace et convivial pour le chauffeur. Certains d’entre eux préfèrent travailler la nuit, ce qui permet de rouler et d’éviter les files. Mais la plupart des chargeurs ne bougent pas. Ils s’accrochent au chargement et déchargement entre 8 et 17 h, voire 16 h », déplore B. Pattyn. Alors que l’économie repart et qu’il existe une pénurie de capacité, on peut se demander si les transporteurs ne sont pas en position de pouvoir exiger la livraison, le chargement et le déchargement de nuit. A cette interrogation, il répond par la négative. « Nous serions déjà très contents si les heures étaient étendues de 7 à 21 h. » « Nous discutons chaque année avec les clients. Ces dernières années, ils étaient en position de force et plutôt intransigeants vis-à-vis du transporteur. Les choses s’inversent. Non pas que le transporteur puisse revendiquer beaucoup plus au cours des négociations, mais les relations s’équilibrent. » En outre, B. Pattyn déclare que les transports de nuit ne sont pas toujours possibles. « Chez les chargeurs avec beaucoup de personnel – comme c’est le cas des grands retailers – il serait plus facile de pouvoir livrer la nuit dans les centres de distribution. Certains, comme Colruyt, sont ouverts à cette idée. Mais nous livrons beaucoup dans des magasins et les livraisons de nuit n’y sont pas possibles en pratique. Il n’y a qu’une minorité de magasins qui disposent d’un sas de nuit. » Europe de l’Est A la question de savoir si la pénurie de chauffeurs peut être solutionnée avec une filiale en Europe de l’Est, la réponse de B. Pattyn est ferme. « Il y a beaucoup de contradictions et d’ambiguïtés concernant ce qui relève ou non de la loi. Cela comporte des risques. Nous pourrions évidemment optimaliser nos marges avec une filiale de ce type, mais faut-il encore expliquer que ceci n’est tout simplement pas pertinent ? » « N’oubliez pas : le chauffeur est la carte de visite de la société. Il est le seul à être en contact au quotidien avec le client et avec le client du client. C’est lui qui crée la perception de qualité. Son impact sur l’image de l’entreprise n’est vraiment pas à sous-estimer », ajoute encore S. Gregoir. « Comme nous sommes principalement actifs sur le marché belgo-français, nous investissons plus que jamais dans des chauffeurs belges/français, sur demande de notre client et en fonction de ses besoins. » Cela ne signifie pas pour autant que la société ne garde pas l’Europe de l’Est à l’esprit. B. Pattyn : « Nous avons élaboré un ambitieux plan de croissance, y compris dans cette partie de l’Europe. Il est toutefois exclusivement axé sur le marché local qui se développe aujourd’hui plus rapidement que jamais. C’est là, en effet, que l’on trouve les opportunités de croissance les plus rapides. » #Numérique Mais des personnes influencent aussi la perception – et l’efficacité – de l’entreprise au sein du back office : les informaticiens. « Bien que l’on ne parle plus d’IT chez Eutraco, mais de #Numérique. C’est une autre approche car ces personnes peuvent nettement améliorer la relation avec le client, tandis que les collaborateurs IT vivent parfois un peu trop dans leur bulle. Nous investissons donc aujourd’hui dans une Team #Numérique avec 3 recrutements récents : des gens qui ont l’esprit d’entreprise avec une affinité pour l’IT et non l’inverse », souligne S. Gregoir. « Ces personnes constituent un prolongement de notre business. Leur point de départ, c’est le transport mais les solutions qu’ils développent doivent apporter une valeur ajoutée au client. Aujourd’hui, il ne suffit plus de transporter. Une meilleure prévisibilité est au moins aussi importante. Non seulement pour la perception, mais aussi pour l’efficacité des opérations. Nous générons énormément de données – business intelligence – et nous voulons davantage les intégrer dans notre business model », ajoute-t-il. Cela se traduit par une meilleure communication entre le transport et la logistique par exemple. « Si les activités pick and pack et les transports ne s’entremêlent pas de façon fluide, il peut arriver que différentes équipes informent les clients différemment. » « Notre volonté de numériser davantage le business model s’exprime aussi par l’introduction du e-CMR. Sur ce plan, nous sommes un ‘early adopter’. Notre stratégie vise à utiliser la lettre de voiture numérique d’ici à 2020. Les clients doivent naturellement adhérer à cette démarche. Mais l’époque et l’environnement sont mûrs pour cela », indique B. Pattyn. Aujourd’hui, trois des 150 chauffeurs d’Eutraco utilisent déjà l’e-CMR en transport national, en concertation avec les clients. Eutraco en bref
- Actionnariat : Bart Pattyn & Marij Andries (épouse), société familiale troisième génération
- Membres du comité de direction : Serge Gregoir (CEO), Kristof Callens (CFO), Bart Pattyn (Head of Purchase), Liesbeth Pattyn (Head of People Care), Peter Meeuws (Head of Transport) et Yves Dehan (Head of South).
- Chiffre d’affaires 2016 : 56,8 millions € (27 % en Belgique, 44 % en France, 8 % en Allemagne). Le transport représente 80 % du chiffre d’affaires et la logistique 20 %.
- EBITDA 2016 : 4,9 millions €
- Personnel : 225 ETP
- Installations logistiques : Roulers (25.000 m2), Mouscron (7.000 m2), Châtelineau (12.000 m2), Sint-Niklaas (15.000 m2), Aalter (1.000 m2 cross dock), Roubaix (transport unit).
- Flotte : 300 tracteurs et 400 semi-remorques.