Crise mondiale des supply chains : Ruptures en chaîne(s)

Depuis plusieurs mois, les chaînes d’approvisionnement sont perturbées. Cela entraîne des répercussions jusque dans les moindres recoins du globe. Au point que certains commencent à redouter que la crise dans la logistique pourrait provoquer une crise économique. Mais quelle est la cause de la rupture des supply chains ? Et combien de temps cette situation va-t-elle durer ? Essayons d’y voir clair en dix questions.

Pourquoi cette crise se produit-elle ?

La cause de la crise des supply chains est clairement la pandémie du coronavirus. Elle a désorganisé la chaîne d’approvisionnement mondiale sous pratiquement tous ses aspects. La machinerie, dans l’ensemble bien huilée, assurant le lien entre la fabrication, le transport et la logistique des marchandises jusqu’à une entreprise ou un consommateur s’est bloquée. Ceci a provoqué davantage qu’un effet domino. On peut parler d’un effet d’avalanche : une suite de perturbations ayant chacune un effet amplificateur. Celles-ci ont fait en sorte qu’en un temps record, les pénuries de capacité et de produits se sont accumulées, entraînant à leur tour des hausses des prix que personne ne pouvait encore prévoir il y a un an encore.

Quand cela a-t-il commencé ?

Les premières perturbations remontent au début de l’année dernière, aux premiers stades de la pandémie. La plupart des usines – partout dans le monde – ont été durement touchées par la propagation du coronavirus. Elles ont d’abord dû fermer leurs portes et ont ensuite été contraintes de réduire leur production parce que les travailleurs étaient malades ou en quarantaine. En réaction, la plupart des compagnies maritimes ont réduit la fréquence de leurs services car elles s’attendaient à une baisse de la demande en transport de marchandises dans le monde.

Cela s’est avéré être une terrible erreur. L’effondrement de la demande s’est effectivement produit, mais il est resté essentiellement limité au secteur des services (voyages, restaurants, etc.). L’argent que les consommateurs y consacraient a été ont réorienté vers les produits. Soudain, ils se sont mis à redécorer leur habitation dans laquelle ils étaient confinés ou à l’adapter pour en faire un bureau ou une salle de classe. Ils ont acheté des articles de sport et des consoles de jeux. Ou du matériel de cuisine afin de compenser les visites aux restaurants. Les exemples sont légion.

Conséquence : en très peu de temps, ces achats ont surchargé le système.

Pourquoi la situation a-t-elle dérapé si vite ?

La subite hausse de la demande a engendré de nouveaux problèmes dans la plupart des usines, principalement en Asie. Elles sont dépendantes de composants très divers qu’elles assemblent pour fabriquer des produits qu’elles exportent. Souvent, ces composants sont importés. Un ordinateur assemblé en Chine peut nécessiter une puce fabriquée en Malaisie. Un écran plat produit en Corée du Sud est constitué non seulement de dizaines de composants électroniques mais également de produits chimiques (pour le plastique) pouvant provenir du monde entier. Si l’un de ces composants manque, le planning de la production est perturbé, et par conséquent la chaîne logistique en aval.

Dans le même temps, ces chaînes logistiques ont dû faire face à une hausse des volumes. Celle-ci a engorgé le système de transport des marchandises vers les usines et ensuite celui vers les pays de consommation.

Cet engorgement a fait que de nombreux produits finis se sont entassés dans les entrepôts et les ports en attente d’un transport maritime. N’oublions pas que la plupart des armements avaient réduit la fréquence de leurs services et donc leur capacité. A cela s’est ajouté rapidement une grave pénurie de conteneurs maritimes en Asie.

Pourquoi cette pénurie aigüe de conteneurs ?

Le déséquilibre des flux entre l’Asie d’une part et l’Europe et les Etats-Unis de l’autre fait en sorte que les flux de conteneurs sont déséquilibrés eux aussi. Le phénomène existe depuis longtemps. Les compagnies maritimes ne veulent pas transporter vers l’Asie des conteneurs vides qui ne leur rapportent presque rien. Pendant des années ce déséquilibre a été partiellement absorbé en chargeant des produits à recycler en Asie. Du vieux papier vers la Chine, par exemple. Les autorités chinoises ont toutefois décidé de freiner ces importations. ‘Rapatrier’ vers l’Asie les conteneurs vides est donc devenu encore moins intéressant.

La perturbation des trafics maritimes n’a fait qu’aggraver la pénurie de conteneurs.

Pourquoi les services maritimes sont-ils perturbés ?

Les porte-conteneurs n’ont jamais été des exemples de ponctualité mais en 2021, les retards se sont accumulés. Un des déclencheurs a été le blocage du canal de Suez en mars dernier. Il a eu un effet amplificateur énorme. Pendant plus d’une semaine, des dizaines de navires n’ont pu naviguer soit vers l’Europe, soit vers l’Asie. Après, ils sont arrivés en masse dans les ports, qui n’ont plus pu faire face à cet afflux subit. Dans une situation déjà perturbée, ceci a provoqué des problèmes qui perdurent encore aujourd’hui.

Suite à l’augmentation subite de la demande, les ports étaient déjà congestionnés. Suez a donc aggravé la situation. En Europe, environ un tiers des navires doivent arriver avec un retard de trois à sept jours, voire davantage… car ils n’y pas la place pour accoster. Aux Etats-Unis, c’est pire encore : ils doivent souvent attendre plus de huit jours – parfois même quelques semaines – en rade avant de pouvoir être déchargés.

Ces retards se sont aggravés par l’attitude des autorités chinoises à l’égard du coronavirus : un seul docker testant positif peut entraîner la fermeture d’un port pendant plus d’une semaine.

Tous ces retards font en sorte qu’environ 12% des conteneurs sont indisponibles, ce qui accroît la pénurie.

Pourquoi les taux de fret ont-ils explosé ?

La pénurie de conteneurs a commencé à un moment où les usines en Asie – et en Chine plus particulièrement – tournaient à plein régime. Leur production ne pouvant être évacuée, elle s’est accumulée dans les usines et les ports et ce à un moment où les services maritimes étaient déréglés. Il fallait réserver à tout prix – littéralement – des ‘slots’ sur les navires. En conséquence, les tarifs ont explosé. Le transport d’un conteneur de 40 pieds entre la Chine a presque décuplé en un an, passant de grosso modo 1.500 dollars à près de 15.000 dollars en octobre. Depuis, ils ont à peine baissé.

Est-ce un problème purement maritime ?

Non. Le transport aérien est lui aussi confronté à un manque de capacité. Au début de la pandémie, la plupart des avions ne pouvaient pas voler. Toute la capacité de soute a disparu. Les avions ‘pur fret’ n’ont pas pu suivre la demande, certainement lorsque les problèmes dans le transport maritime se sont accumulés et que l’on a transféré des marchandises de la mer vers l’air. Les prix du fret aérien sont eux aussi à des niveaux record.

La congestion des ports, les pénuries de conteneurs et les taux de fret maritimes extrêmes ne sont d’ailleurs que les symptômes d’un problème plus profond, qui inclut le manque de capacité dans le transport routier (due entre autres à la pénurie de chauffeurs) et un manque croissant en espace d’entreposage. Pendant des années, voire des décennies, les stocks étaient réduits à un minimum. La crise de supply chains mondiales a révélé que des stocks tampon sont nécessaires pour obtenir des chaînes d’approvisionnement résilientes.

Pourquoi cette crise cause-t-elle des pénuries ?

La cause est triple. L’explosion des taux de fret touche de plein fouet les exportations depuis l’Asie des produits les moins chers. Il est difficile de les répercuter dans le prix de vente. On ne les exporte donc qu’en petites quantités. Mais même des produits plus chers en pâtissent : on ne peut charger que quelques canapés dans un conteneur. Il faut donc répercuter le prix de transport sur un nombre limité de produits.

Une deuxième raison réside dans les retards qui se sont accumulés dans la chaîne du transport maritime : tant que des produits se trouvent dans le conteneur, ils ne sont pas en magasin.

La troisième raison est la pandémie elle-même. Grâce à un taux de vaccination élevé, les usines tournent presque normalement en Europe. En Asie, le taux de vaccination est faible. Si une usine doit fermer à cause d‘un lockdown et qu’elle produit pour d’autres, c’est toute la chaîne qui est fragilisée. Le meilleur exemple est la pénurie de puces électroniques.

Combien de temps la crise durera-t-elle encore ?

Certains analystes estiment que le marché est capable de s’adapter rapidement. Selon eux, le pire sera passé après le rush de fin d’année. D’autres – et ils sont de loin les plus nombreux – estiment que les problèmes ne peuvent être résolus du jour au lendemain car il n’y a pas de capacité latente pouvant être activée comme un robinet. Selon eux, les chaînes d’approvisionnement resteront sous tension. Le sentiment dominant est que les problèmes subsisteront au moins jusqu’à la mi-2022, voire même la fin de l’année.

La crise de la supply chain pourrait-elle créer une crise économique ?

C’est la question à un million d’euros. Aujourd’hui, cela n’est pas à l’ordre du jour. La confiance du consommateur est encore solide et la demande reste élevée. L’économie tourne bien, créant une pénurie de personnel un peu partout dans le monde.

Toutefois, il ne faut pas perdre de vue l’autre pénurie : celle de capacité dans le système de transport. Si elle dure trop longtemps, les prix des produits augmenteront de manière structurelle. De plus, le commerce de détail ne peut postposer indéfiniment l’importation des produits bons marchés. Il leur faudra augmenter les prix. Il y a donc un sérieux risque d’inflation et donc de retournement de la confiance du consommateur.

Dès lors, on peut conclure que plus longtemps les supply chains demeureront perturbées, plus grandes seront les chances d’une nouvelle crise économique.

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