Difficile, la durabilité pour la navigation intérieure

Comme beaucoup d’autres secteurs, la navigation intérieure doit devenir (encore) plus durable. Généralement considérée comme un moyen de transport plus respectueux de l’environnement que le transport routier, celle-ci risque en effet de voir cet avantage s’amenuiser à mesure que le transport routier s’électrifie. La voici donc confrontée à des défis majeurs. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Flandre a lancé le Green Deal Binnenvaart. Sofie Marivoet (De Vlaamse Waterweg nv) et Sven Geysels (VIL) en disent plus sur l’initiative.

Très tôt, l’Europe s’est ‘intéressée’ au transport routier. Progressivement, grâce aux normes Euro, les émissions de NOx et de particules ont été considérablement réduites. Mais désormais, ce sont les émissions de CO2 qui sont dans le collimateur : les émissions des camions neufs doivent diminuer de 15 % à partir de 2025 (par rapport à 2019) et de 30 % à partir de 2030. Contraignantes, ces nouvelles règles s’inscrivent dans l’objectif européen visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports de 90 % d’ici 2050.

Mais le verdissement accéléré du transport routier n’est pas sans effet sur les chaînes d’approvisionnement en Europe et plus particulièrement dans les pays où le transport fluvial est important. Un ‘transfert modal inversé’ de la part des expéditeurs soucieux du climat n’est pas illusoire. Aujourd’hui, les bateaux de navigation intérieure consomment généralement beaucoup moins de carburant par tonne-kilomètre que les camions. Ils émettent donc moins de CO2 par unité de marchandise transportée. Afin de conserver cet avantage, la navigation intérieure doit donc au moins suivre le rythme du transport routier et devenir rapidement plus écologique. Compte tenu des caractéristiques du secteur (de nombreux navires sont anciens et les périodes d’amortissement sont longues), le défi est immense.

Le Green Deal Binnenvaart

Des objectifs ont donc été fixés avec pour but ultime une navigation intérieure zéro émission d’ici 2050. Afin de réaliser les progrès nécessaires au niveau flamand, la régie flamande des voies navigables, le département de la mobilité et des travaux publics, le Port of Antwerp-Bruges, le North Sea Port, le VIL, le Kenniscentrum Binnenvaart Vlaanderen et la Fédération belge de la navigation intérieure ont mis sur pied le Vlaamse Green Deal Binnenvaart dont l’objectif est, en plusieurs étapes, de garantir un changement visible du verdissement d’ici 2026, 2030 et enfin 2050.

Les actions sont regroupées en quatre domaines de travail et 15 objectifs stratégiques.

Les économies d’échelle sous pression

« En raison de l’évolution des autres modes de transport, les économies d’échelle de la navigation intérieure (par tonne-km) sont sous pression », reconnaît Sofie Marivoet, chargée de mission chez De Vlaamse Waterweg. « Le processus de verdissement est complexe car il faut prendre en compte les grandes différences entre les types de navire et de navigation. Ainsi, les navires plus petits tels que les Kempenaars ont des caractéristiques techniques et opérationnelles différentes de celles des navires de plus grande classe. Par ailleurs, on distingue la navigation de jour de la navigation continue, sans oublier que toutes les salles des machines n’ont pas les mêmes caractéristiques… En raison de ces différents profils et modes de fonctionnement, il faut travailler sur mesure. Il n’existe pas de solution universelle dans le domaine de la navigation intérieure et cela rend les défis encore plus grands. »

« Un autre facteur à prendre en compte est la part importante des entreprises individuelles et des petites entreprises dans le secteur. Leurs possibilités de financement sont plus limitées que celles d’une grande société de logistique, qui dispose par exemple d’une plus grande marge de manœuvre pour monter un projet pilote. C’est très risqué pour une petite structure : si le projet tourne mal, l’entrepreneur perd tout. Il faut donc plus de soutien, et justement, le Green Deal est une initiative dans laquelle les différentes parties prenantes unissent leurs forces pour indiquer la direction à suivre. »

Trop tard ?

La navigation intérieure ne se repose-t-elle pas depuis trop longtemps sur ses lauriers ? C’est une question qui revient souvent. « Le secteur a en effet attendu longtemps pour accorder davantage d’attention aux émissions de CO2 », pointe du doigt Sven Geysels, qui représente le Green Deal au sein de VIL. « Les compagnies de navigation intérieure sont petites, ce qui rend plus difficile un changement de mentalité. De plus, l’amortissement d’un bateau de navigation intérieure s’étend sur une très longue période, ce qui ralentit le cycle de remplacement. Cela rend plus difficile l’inscription de navires plus durables à l’ordre du jour. »
Sofie Marivoet tient cependant à nuancer ces propos : « Le transport routier a agi plus tôt, c’est vrai, mais c’est parce que le secteur y a été contraint par le législateur européen. L’Europe n’a inclus que récemment le transport maritime intérieur dans le processus de verdissement. »

Les normes d’émission plus strictes pour les nouveaux navires (Stage V, l’équivalent d’Euro 6) n’ont été introduites progressivement qu’à partir de 2019, et depuis lors, le nombre de nouveaux navires qui s’y conforment en Flandre se compte presque sur les doigts d’une main. Le problème est que les navires restent souvent en service pendant des décennies, et si leur moteur a déjà été remplacé, il ne répond généralement qu’aux anciennes normes. « La modernisation et l’écologisation de la flotte seront une tâche titanesque », admet Sofie Marivoet.

Démolir et remplacer ?

La question est de savoir si cette flotte devra être démolie et remplacée en masse. Sofie Marivoet tempère à nouveau : « Il y a aussi la possibilité du rétrofit (ndlr : remplacer l’ancien moteur par un plus moderne). Il s’agira d’une combinaison de rénovation et de nouvelle construction. Cela nécessitera des efforts tant en ce qui concerne la norme Stage V en combinaison avec les biocarburants que les propulsions et carburants alternatifs. Pour l’instant, la navigation électrique par exemple sera surtout intéressante en cas de trajets fixes et courts pour lesquels des infrastructures de recharge peuvent être prévues. Cependant, ceux qui souhaitent investir dans le transport maritime zéro émission sont confrontés à une question majeure : celle de la fiabilité opérationnelle. Doivent-ils choisir maintenant et attendre encore un peu ? Le Green Deal peut déterminer la direction et répondre à ces préoccupations structurelles. D’ici 2026, une feuille de route sera élaborée et des projets pilotes seront lancés. »

« Durant la transition, le rétrofit jouera effectivement un rôle dans la réduction des émissions de CO2. Les affréteurs n’envisageront donc pas forcément un changement modal inversé. Cependant, il y a une condition : ils souhaitent des rapports précis sur les émissions de CO2. Les opérateurs de navigation intérieure doivent donc être disposés à coopérer à cet égard. C’est un obstacle à ne pas sous-estimer : le reporting constitue un défi majeur pour les petits entrepreneurs », précise Sven Geysels.

La navigation électrique n’est d’ailleurs pas la seule possibilité de réduire les émissions de CO2. L’utilisation de biocarburants tels que le HVO (biodiesel à partir de déchets) dans les moteurs de la norme Stage V, et à terme, le méthanol vert ou l’hydrogène, sont également des options. Là aussi, il reste encore des défis à relever, car les biocarburants sont actuellement plus coûteux et sont soumis à une taxation différente de celle du gasoil conventionnel EN590 (le gasoil rouge). Des mesures ont été prises à cet égard.

Soutien du public… et information

Il y a donc du pain sur la planche. « La réalisation des objectifs pour 2050 dépend du soutien apporté et en l’occurrence des aides publiques. Nous constatons que les hommes politiques en sont également conscients. La ministre flamande de la Mobilité, Lydia Peeters, l’a démontré en lançant le programme ViaVia pour l’écologisation de tous les modes de transport », apprécie Sven Geysels qui souligne également que le monde politique est l’un des quatre domaines de travail du Green Deal. Il affirme par ailleurs que si chaque étape vers le verdissement est utile, de grandes avancées restent nécessaires pour concrétiser les ambitions de 2050. « C’est pourquoi le Green Deal est si important pour créer un nouvel état d’esprit et établir une coopération plus étroite. Il y a un besoin d’informations et d’accompagnement supplémentaires, mais aussi d’échanges. Les différentes parties prenantes doivent mieux se connaître mutuellement, comprendre leurs besoins et préoccupations respectifs, et se rapprocher les unes des autres. Cela devrait donner un élan. Sans cela, l’horizon 2050 sera difficile à atteindre. »

Le Green Deal en quelques mots

Dans le cadre du Green Deal Binnenvaart, quatre thèmes de travail et 15 objectifs stratégiques ont été définis avec une ambition : une navigation intérieure zéro émission d’ici 2050.

  • Solutions technologiques

1 : Rendre les technologies vertes accessibles et réalisables (rénovation et nouvelle construction)
2 : Utiliser un système uniforme de mesure et de déclaration des émissions
3 : Accélérer l’évolution vers une situation multi-carburants
4 : Poursuivre l’amélioration de l’efficacité énergétique de la navigation intérieure

  • Solutions financières

5 : Créer un fonds pour le verdissement
6 : Elaborer des solutions pour rendre les coûts supportables
7 : Demander un effort conséquent à tous les acteurs de la navigation intérieure
8 : Créer une analyse de rentabilisation pour les acteurs qui souhaitent investir dans le verdissement

  • Politique

9 : Travailler sur une politique qui indique une direction (2030 et 2050)
10 : Faire jouer un rôle exemplaire au Gouvernement flamand et aux entreprises portuaires
11 : Mettre en oeuvre des réglementations plus simples pour le verdissement
12 : Développer les incitations fiscales
13 : Avoir un aperçu d’un label d’émission européen

  • Mise en œuvre

14 : Réaliser un changement de mentalité parmi tous les acteurs
15 : Guider les entrepreneurs du transport intérieur dans la collecte d’informations

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