Transporteur dans l’âme, entrepreneur clairvoyant, 73 ans et encore impliqué quotidiennement dans toutes les activités de H.Essers : Noël Essers n’a pas été élu ‘Personnalité Transport de ces 25 dernières années’ pour rien. Le passé, le présent et l’avenir au cœur d’un entretien passionnant avec Sir Noël Essers. C’était beau à voir : un Noël Essers visiblement ému qui apprend que le monde du transport l’a élu ‘Personnalité Transport de ces 25 dernières années’ lors des Transport & Logistics Awards. Un prix qui a été remis pour la première fois par Transportmedia pour célébrer les 25 ans des Awards. Truck & Business : Monsieur Essers, nous imaginons que vous êtes très fier de cette récompense. Noël Essers : En effet, ça m’a fait très plaisir d’être élu ‘Personnalité Transport des 25 dernières années’. Le moment où le gagnant est apparu sur l’écran a été exceptionnel. J’étais en train de regarder la vidéo, mais je n’ai pas compris tout de suite en réalité (rires). J’ai alors dû prendre la parole. Mon stress a disparu et j’ai retrouvé mon calme… Truck & Business : Pouvez-vous nous expliquer ce que vous avez ressenti ? Noël Essers : Le calme qui régnait dans la salle m’a particulièrement surpris. On aurait entendu une mouche voler. ça m’a détendu, mais ça m’a aussi fait plaisir que tout le monde m’écoute. Après l’annonce, j’ai échangé quelques mots avec les deux autres finalistes, monsieur Delen et monsieur Van Moer. Nous nous sommes félicités mutuellement. C’est une récompense qui nous tenait à coeur. Mais les réactions étaient très positives, sans aucune forme de jalousie. Truck & Business : Le secteur du transport et de la logistique vous doit beaucoup. Il y a 25 ans environ, vous permettiez à H.Essers de devenir l’entreprise qu’elle est aujourd’hui. Noël Essers : Au mois d’août, cela fera précisément 55 ans que je travaille pour l’entreprise. Notre père Henri est décédé prématurément. Mon frère et moi-même – je n’avais que 23 ans – avons alors repris la société. Nous avons continué de la développer jusque dans les années 80. Nous avons travaillé dur, investi beaucoup et parfois même pris de gros risques. Nous avons ensuite décidé de vendre une partie de la société parce que mon frère voulait se ranger. Avec mon avocat de l’époque, Willy Zimmerman, nous avons trouvé un accord avec le fonds d’investissement GIMV. J’avais quatre semaines pour décider ce que je voulais faire des actions de mon frère. J’ai décidé de les reprendre moi-même… Truck & Business : La présence du GIMV a-t-elle joué dans la poursuite du développement de la société ? Noël Essers : Oui, absolument. Le GIMV avait acheté 40 % des actions pour 10 ans. J’ai énormément appris à l’époque. Les comptes rendus, les conseils d’administration… Dans une entreprise familiale, tout ça n’avait pas tant d’importance. Mais une fois qu’on commence à grandir, c’est primordial. Il faut disposer d’un bon conseil d’administration qui discute des investissements ou des reprises. Au terme des 10 années de présence du GIMV dans l’entreprise, j’ai eu l’opportunité de reprendre toutes les actions aux alentours de l’an 2000. Une opportunité que je n’ai pas laissé passer.
Les comptes rendus, les conseils d’administration… Dans une entreprise familiale, tout ça n’avait pas tant d’importance.
Truck & Business : Vous aviez donc 50 ans lorsque vous êtes devenu propriétaire à 100%. Vous n’avez pas hésité une seconde à reprendre les actions du GIMV. Pourquoi ? Noël Essers : Il avait été fixé contractuellement que j’aurais la possibilité de racheter les actions après 10 ans. Je baignais dans ce monde depuis toujours, je savais donc ce que je faisais. Avec le GIMV (de 1990 à 2000), nous avons considérablement développé notre division logistique. Dans un premier temps, notre entreprise ne comptait que des professionnels du transport. Nous avons ensuite évolué et recherché des personnes hautement qualifiées, qui avaient une autre vision et qui connaissaient parfaitement les processus de production. À l’époque, nous disposions déjà d’une dizaine de spécialistes IT. Nous avons élaboré nous-mêmes des systèmes pour agrandir nos entrepôts et pris ainsi une longueur d’avance sur nos concurrents. Truck & Business : Peut-on dire que vous êtes un pionnier dans le secteur du transport et de la logistique ? Noël Essers : Nous étions dès le départ de véritables gourous du transport. Ces préceptes m’ont bien sûr été inculqués dès l’enfance. J’ai su développer très tôt de nouveaux systèmes pour nos entrepôts, comme des outils pour le scan des codes-barres. Le succès a été tel qu’il nous a permis de grandir énormément. Nous avons beaucoup investi à partir de 2000 et eu la chance d’être soutenu par des clients fidèles. Peu de temps après, nous avons fait de nombreuses reprises, dont celle du Centrum Transport (500 travailleurs) en 2004 qui a été significative pour l’entreprise. De plus, nous avons notamment investi dans le site logistique d’Agfa Gevaert à Wilrijk, un site que nous avons doublé aujourd’hui.
J’ai su développer très tôt de nouveaux systèmes pour nos entrepôts, comme des outils pour le scan des codes-barres.
Truck & Business : Aujourd’hui encore, H.Essers continue d’ouvrir la voie en termes d’innovation, comme en témoigne la ‘safebox’ depuis peu. Noël Essers : Nous avons décidé de suivre une direction spécifique dans le secteur du transport. La sécurité et le contrôle de la température sont très importants pour nous. En réalité, nous travaillons depuis des années avec un suivi adapté de nos semi-remorques pour garantir la sécurité et la température. Ce système est désormais utilisé également sur nos conteneurs. Des capteurs de détection intégrés fournissent un niveau de sécurité unique. De plus, ces conteneurs ne peuvent être ouverts que de manière électronique, depuis le siège central de Genk. Une tour de contrôle effectue (7 jours sur 7 et 24 heures sur 24) le suivi des conteneurs et du matériel tracté. L’alarme est déclenchée à la moindre anomalie pour identifier le problème. Truck & Business : H.Essers voit donc l’avenir en rose. Vous venez d’annoncer votre retraite. Vous souhaitez vous arrêter au sommet ? Noël Essers : Cela devait bien arriver un jour (rires). J’aurais peut-être même dû le faire il y a quelques années. Après mon Dakar en janvier, j’ai bien réfléchi. J’ai pris tous les éléments en compte et je suis arrivé à la conclusion que le moment était venu de prendre ma pension. La maladie de mon ami Jacky a également déterminé ma décision. S’il m’arrivait quelque chose demain, j’ai consacré toute ma vie à l’entreprise. A posteriori, je dois avouer que j’étais trop peu à la maison. Maintenant, je veux passer plus de temps avec mes petits-enfants. Truck & Business : Avez-vous un quelconque regret ? Noël Essers : ça peut aller très vite… Un jour, on vous bénit, le jour suivant, on vous maudit. La reprise de Biddeloo Transport s’est mal passée… Une belle entreprise mais trop endettée. Je pensais arriver à la redresser, mais ça n’a pas marché. Je voulais grandir dans les années 90, grandir vite, mais je n’y étais pas préparé. Avec l’équipe que j’ai aujourd’hui, j’aurais sans aucun doute permis à l’entreprise de Turnhout de renouer avec les bénéfices.
Ca peut aller très vite… Un jour, on vous bénit, le jour suivant, on vous maudit.
Truck & Business : À partir d’aujourd’hui, votre fille Hilde reprend les rênes. Noël Essers : Hilde a participé à toutes les étapes de l’entreprise depuis qu’elle a terminé ses études. Avec notre CEO, Gert Bervoets, ils vont poursuivre le développement de l’entreprise. Ces dernières années, je m’en suis déjà beaucoup moins mêlé. Cependant, je suis encore impliqué dans toutes les décisions et je serai toujours disposé à leur donner des conseils lorsque je serai retraité. J’ai une super équipe ! Mais ils me disent parfois : « Va-t’en, tu râles trop. » (Rires) Ils ont raison bien sûr. Je vais faire ce que j’ai à faire. S’ils ont besoin de moi, je serai toujours là.
Ils me disent parfois : « Va-t’en, tu râles trop. » (Rires)
Truck & Business : Nous sommes certains que l’entreprise est en de très bonnes mains. Comment voyez-vous l’avenir du secteur du transport ? Noël Essers : J’ai dit un jour que notre beau métier avait été saboté. Il y a 25 ans, j’ai essayé de former des chauffeurs au sein de l’entreprise afin d’éviter de faire face à une pénurie aujourd’hui. Mais je n’ai reçu aucun soutien, même pas des fédérations professionnelles. Tout le monde s’est réfugié à l’étranger. Ce n’était certainement pas ce que je voulais ! Les temps de conduite et de repos ne nous ont pas facilité la vie non plus, au contraire… Truck & Business : Il y a aussi cette histoire d’arbres à Genk-Noord. Noël Essers : Je trouve cela scandaleux. J’adore les balades en forêt, mais notre agrandissement permettrait de créer plus de 300 emplois dans un nouvel entrepôt d’environ 75.000 m². Cette procédure nous a retardés. Nos clients attendent cet élargissement, faute de quoi nous risquons de devoir abandonner de beaux projets à nouveau. Par ailleurs, une extension de la division pharmaceutique dans l’ancienne usine de Ford n’est pas une option. Si nous envoyons des centaines de camions de Genk-Noord à Genk-Zuid chaque jour, la mobilité à Genk sera lourdement touchée et l’empreinte écologique augmentera. À Genk-Noord, c’est parfait. Nous montons sur l’autoroute et arrivons immédiatement sur notre site. Personne n’en souffre.
Notre agrandissement à Genk Noord permettrait de créer plus de 300 emplois.
Truck & Business : Nous ne pouvons qu’encourager une société de transport et de logistique belge qui continue de grandir. Merci pour tout ce que vous avez apporté au secteur monsieur Essers !